Dissimuler ses origines pour sâintĂ©grer et tracer sa voie â deux tĂ©moignages et des recos de plateforme Ă impact
L'authenticité en question
Avec cette Ă©dition, je te propose de plonger Ă la rencontre de Farah et HĂ©lĂšne qui nous racontent comment leur origine sociale a forgĂ© leur rapport Ă lâorientation.
La Ploufletter est un espace randomadaire pour les actif·ves et pros engagé·es Ă lâintersection entre le sens au travail, lâimpact (socio-Ă©cologique) et lâinclusion. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation, alors voici quelques guidelines. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. La ligne de nage, câest la voie que lâon choisit. Enfin, les nageur·ses, ce sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Tâimmerger dans mon media kit pour sponsoriser la Ploufletter et te rendre visible auprĂšs des swimmers.
Plonger dans mes offres dâaccompagnement et de co-crĂ©ation de contenu pour les entreprises et solopreneur·ses à impact
Suivre La piscine sur Instagram ou me suivre sur Linkedin.
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đŁÂ au programme
Ăditâeau.
Dissimuler son identitĂ© pour mieux sâintĂ©grer â Conversation avec Farah et HĂ©lĂšne.
Trouver un job Ă impact â Quelques plateformes Ă parcourir.
Quelques ressources pour aller plus loin.
đ Ă©ditâeau
Temps de lecture : 3min
Attention, cette Ă©dition est longue â 33 minutes de lecture. Veille donc Ă avoir du temps devant toi si tu veux la lire dâune traite. Et clique ici pour la lire dans ton navigateur (le mail risque se couper avant la fin).
Coucou toi ! JâespĂšre que tu profites des bourgeons totalement hors-saison sur le chemin de tes entraĂźnements en cette derniĂšre semaine bissextile (je nâĂ©cris jamais ce terme donc jâen profite).
Ici tout flotte. Ma premiĂšre newsletter « externe » dont je te bassine depuis quelques temps est partie la semaine derniĂšre sur les rĂ©seaux. Je vais pas te mentir, ça fait un petit quelque chose de voir son travail exposĂ© devant une audience de 70 000 personnes. De quoi remettre en perspective mon Ă©merveillement face Ă la croissance de ce club de nage â dâailleurs, merci aux 50 nageur·ses qui nous ont rejoint depuis la derniĂšre Ă©dition !
Le programme de la séance étant assez chargé, plongeons directement dans le sujet du jour.
Jâai beau avoir le crĂąne presque aussi lisse quâun caillou poli par la mer, un de mes sujets de prĂ©dilection, câest les cheveux. Hear me out.
En tant que personne adoptĂ©e, jâai toujours eu peu de caractĂ©ristiques physiques communes avec mon entourage proche ou, Ă lâĂ©cole, avec mes co-swimmers. Et malgrĂ© le fait que jâai eu un poupon de ma carnation plus jeune, moi et ma chevelure, on se sentait souvent seules dĂšs que ça parlait coiffure au club de natation.
Nâayant aucune idĂ©e des coiffures auxquelles je pouvais aspirer ou non, je me suis beaucoup cherchĂ©e1 capillairement parlant đđŸ
đđŸââïž Les couettes, chignons et queues de cheval Ă©taient mes meilleur·es ami·es pour « dompter ma tignasse »,
đđŸââïžÂ Au lycĂ©e, jâai expĂ©rimentĂ© le lissage et les tresses. (Pour lâune comme pour lâautre, lâalopĂ©cie qui sâen est suivie mâa vite vaccinĂ©e.)
đđŸââïžÂ Enfin, comme la plupart des salons de coiffure ne savaient pas gĂ©rer ma texture entre deux brosses, jâai sombrĂ© dans un dĂ©sert de frustration⊠jusquâĂ ce que je dĂ©couvre le mouvement naturel sur les rĂ©sâeaux.
PersuadĂ©e dâavoir Ă©tĂ© seule Ă avoir galĂ©râŠmis du temps Ă construire un rapport apaisĂ© avec mes cheveux, jâai finalement dĂ©couvert que nous Ă©tions lĂ©gion en Ă©changeant avec dâautres swimmers concerné·es.
« Ce nâest que maintenant que je dĂ©couvre ma vraie nature de cheveux, il mâa fallu 25 ans pour les accepter » m'a sorti un·e pote en bord de bassin. (Pote que jâavais toujours connu les cheveux dĂ©frisĂ©s avant quâelle ne saute le pas du naturel en 2019.)
« On ne mâa jamais appris Ă prendre soin de mes cheveux. Jâai lâimpression de tout apprendre aujourdâhui » mâa quant Ă lui confiĂ© un nageur en plein processus de (re)pousse.
Câest cette conversation exacte conversation capillaire qui mâa amenĂ© Ă connecter dâabord avec HĂ©lĂšne, puis avec Farah.
Indirectement, câest elle qui a lancĂ© lâidĂ©e dâenregistrer la conversation que tu vas lire â ou Ă©couter â sur la maniĂšre dont nos origines sociales peuvent avoir un impact sur notre dĂ©veloppement personnel.
Fasten your bouĂ©e, weâre about to take off đđŸââïž
See you en fin dâĂ©dition.
Apolline đ
đŠÂ dissimuler son identitĂ© pour mieux sâintĂ©grer â conversation avec farah et hĂ©lĂšne
Temps de lecture : 27min â tu peux aussi Ă©couter la conversation non-coupĂ©e ici
Merci Ă toutes les deux de vous joindre Ă moi ! Avant de commencer, je voulais vous poser la question que je pose Ă tout le monde avant de se lancer.
Quand vous Ă©tiez plus jeune, vous vouliez faire quoi ou vous vouliez devenir qui?
Farah â Moi quand j'Ă©tais plus jeune, j'avais pas d'idĂ©e de mĂ©tier prĂ©cis. Pour moi le mĂ©tier ça a toujours Ă©tĂ© un concept assez abstrait, pour ĂȘtre tout Ă fait honnĂȘte. Jâavais quand mĂȘme en tĂȘte d'avoir un mĂ©tier en lien avec la parole.
Les mĂ©tiers autour de l'enseignement, du journalisme m'ont toujours intĂ©ressĂ©e. Pour l'enseignement, je suis vite revenue sur ma position, parce que je suis d'assez introvertie et l'enseignement, ça nĂ©cessite d'ĂȘtre en prestation de maniĂšre constante, et c'est trĂšs Ă©nergivore. Pour le journalisme, j'en ai un peu fait de maniĂšre bĂ©nĂ©vole et j'ai eu quelques freins par la suite qui ont fait que je suis Ă©galement revenue sur ce choix.
Et aujourd'hui, est-ce que tu peux nous dire ce que tu fais ? Est-ce que tu as continué dans cette lignée?
Farah : Jâai fait des Ă©tudes de droit et aujourd'hui j'ai crĂ©Ă© un cabinet de conseil en prĂ©vention de la corruption. C'est un sujet qui me passionne ; donc je fais du conseil, de la formation et de la communication autour de ça.
Merci. Et toi HĂ©lĂšne, que voulais-tu faire ou qui voulais-tu devenir lorsque tu Ă©tais plus jeune?
HĂ©lĂšne : Alors quand j'Ă©tais plus jeune, j'aurais adorĂ© ĂȘtre maĂźtresse d'Ă©cole. Et aussi coiffeuse. Je voulais combiner les deux. Et puis un peu plus tard, au travers de lecture, notamment de bande dessinĂ©es, je suis tombĂ©e en amour d'une jeune femme â enfin en tout cas dans cette BD. Je l'ai trouvĂ© absolument rayonnante, gĂ©niale. Et j'ai eu envie d'ĂȘtre ingĂ©nieure en Ă©lectronique.
Rien Ă voir avec aujourd'hui donc ?
HĂ©lĂšne : Rien Ă voir. Aujourd'hui, je suis slasheuse et je combine plusieurs activitĂ©s qui ne sont pas si Ă©loignĂ©es de mes rĂȘves d'enfant finalement. Je travaille sur des sujets autour des ressources humaines â de la marque employeur plus spĂ©cifiquement.
Ă cĂŽtĂ© je travaille aussi en tant que formatrice pour une association qui s'appelle Enactus, je facilite aussi des ateliers auprĂšs dâĂ©tudiants dans des Ă©coles de communication. Et pour l'aspect crĂ©ativitĂ© et manuel, je crochĂšte et je tricote Ă titre amateur cette fois.
Ok, merci beaucoup ! Et pour revenir au sujet du jour donc qui sont les inĂ©galitĂ©s ethniques et raciales plus spĂ©cifiquement dans l'orientation et dans le monde du travail, je voulais vous poser une question un peu inspirĂ©e de la question d'ouverture du podcast que vous connaissez peut-ĂȘtre : Kiffe Ta Race. Les hosts demandent toujours aux personnes qu'elles invitent comment elles se perçoivent.
Et, aujourd'hui, les personnes qui nous Ă©coutent ne savent peut-ĂȘtre pas Ă quoi on ressemble. Donc, vous vous identifiez comment?
HĂ©lĂšne : J'aurais eu envie de dire que je suis une jeune femme. Mais pas du tout, en fait [rires]. Donc : j'ai 45 ans. Je suis une femme. PlutĂŽt grande.
Et, comme je nâaime pas les mots « racisĂ©e, issue des minoritĂ©s visibles » et autres, je dirais que suis HĂ©lĂšne ⊠je ne sais pas si le reste est vraiment intĂ©ressant.
J'ai 45 ans, j'ai deux enfants, je suis bien dans ma vie et dans ma peau et je fais plein de choses et je suis trĂšs heureuse. AprĂšs on est trĂšs vite embarquĂ©s dans des cases, et j'ai pas envie de l'ĂȘtre.
[âŠ] Il se trouve que je suis diffĂ©rente mais au mĂȘme titre que les autres le sont Ă©galement.
Farah : Je vais opter pour une prĂ©sentation plus traditionnelle, pas forcĂ©ment pour entrer dans des cases, mais jâaime beaucoup cette question.
Moi je suis une femme de 27 ans cisgenre, d'origine maghrĂ©bine â algĂ©rienne de mes deux parents nĂ©s en France. Je suis valide, je vis en grande mĂ©tropole â Ă Paris â et j'ai toujours grandi dans un milieu plutĂŽt urbain â en banlieue parisienne.
J'appartiens à une catégorie sociale plutÎt éduquée et je suis féministe. Tous ces éléments me semblent importants à souligner pour situer nos propos, surtout vu le sujet abordé.
Merci. Et pour pousser un peu cette question plus loin, on avait beaucoup parlé dans les différents échanges qu'on a pu avoir avant l'enregistrement autour de nos origines respectives.
Je me demandais donc : Ă quel moment vous vous ĂȘtes rendu compte que votre origine sociale ou ethnique pouvait ĂȘtre un frein dans votre vie ? Enfin, sâil y a eu un moment oĂč on vous l'a fait comprendre bien sĂ»r.
HĂ©lĂšne : Câest une vraie question. Moi je ne me rendais pas compte, mais trĂšs tĂŽt j'ai Ă©tĂ© plongĂ©e dans le bain. Quand j'Ă©tais en primaire, mon pĂšre m'a trĂšs vite dit : « Tu n'es pas blonde aux yeux bleus, il faudra que tu travailles deux fois plus que les autres pour rĂ©ussir ».
J'ai porté dans mon sac cette petite phrase pendant un long moment. Elle ne m'appartient pas, pour autant je pense qu'elle m'a façonné quelque part et a fait celle que je suis aujourd'hui. Donc j'ai compris que j'étais différente à ce moment-là parce qu'il l'a souligné. Mais c'était son stress, son angoisse, pas le mien.
J'ai compris et jâai grandi en Ă©tant consciente qu'il allait se passer des choses mais je ne savais pas encore quoi. AprĂšs je me suis aperçue que j'Ă©tais diffĂ©rente par le biais de mes cheveux en fait quand j'Ă©tais Ă l'Ă©cole.
Jâai vite senti que c'Ă©tait quelque chose qui questionnait.
Moi c'Ă©tait pas un sujet. En tout cas ça ne m'a pas empĂȘchĂ© d'avancer Ă ce moment lĂ . Et puis c'est revenu au moment oĂč je me suis mise Ă chercher un stage, je dirais quand j'Ă©tais toute jeune adulte, enfin jeune diplĂŽmĂ©e, oĂč je ne voyais pas de gens qui me ressemblaient.
Je me suis dit : mais oĂč sont ces gens en fait ? Est-ce qu'ils ont disparu de la circulation ? Est-ce qu'on n'a pas envie de les montrer ?
Il n'y a pas d'incarnant, donc je ne me retrouve pas. Il n'y a pas de semblable.
Ă ce moment câest trĂšs compliquĂ© pour moi. Je ne sais pas trop oĂč aller, si j'ai le droit d'y aller, je ne sais pas si c'est envisageable ou pas, s'il y a une forme de censure.
C'Ă©tait assez compliquĂ© et ça se traduisait sur les sites internet, les sites de recrutement, les publicitĂ©s, etc. Et donc lĂ , je me suis dit, yâa quelque chose qui fait que je ne suis sans doute, probablement, je ne suis pas comme les autres, ou en tout cas comme la plupart des gens.
En fait, ça m'est revenu par l'extérieur.
Moi, quand je me regarde, je ne me vois pas diffĂ©rente. En tout cas, je me vois comme je suis, mais je ne me dis pas : « Tiens, t'es noire ou t'es mĂ©tisse ou je ne sais pas quoi. » En fait, c'est un non-sujet pour moi. Ăa ne m'intĂ©resse pas. Donc je ne le vois pas. Si on ne met pas le sujet sous les yeux, voilĂ .
Ce sont les autres qui m'ont mis ce sujet-lĂ , qui l'ont mis en avant. Et puis j'ai quelques aventures rocambolesques du quotidien. Par exemple, je suis adolescente, dans les transports en commun, avec ma maman qui est blanche de peau.
Je me fais contrÎler. Elle pas du tout. On est toutes les deux à cÎté et on va nous répliquer que c'est un contrÎle aléatoire. Ma ma mÚre est à cÎté donc il n'y a pas de raison pour que je me fasse contrÎler.
Autre exemple. Je sors du train de retour d'un sĂ©minaire en Belgique, j'ai mon sac, je suis fatiguĂ©e, je sors et je me fais arrĂȘter par la douane volante. J'ai pas de raison de me faire arrĂȘter par la douane volante. Et lĂ , on va aussi me dire : c'est un contrĂŽle alĂ©atoire. OkâŠ
Oui, ça fait beaucoup d'alĂ©atoires... Farah je te vois qui hoche la tĂȘte. Est-ce que toi aussi, c'est venu de l'extĂ©rieur comme disait HĂ©lĂšne ?
Farah : La question des cheveux, c'est assez intĂ©ressant parce que j'ai un rapport assez similaire. Moi, je vais distinguer l'ethnique et le social. Moi, d'un point de vue ethnique, la premiĂšre fois oĂč j'ai ressenti en tout cas une forme de discrimination, c'est plutĂŽt de l'intĂ©rieur via des mĂ©canismes de protection.
Je vais faire de l'audio-description mais j'ai les cheveux bouclés.
Toute mon enfance et adolescence, mes parents et ma famille m'ont fait comprendre qu'il fallait se lisser les cheveux parce que c'Ă©tait plus prĂ©sentable et c'est comme ça qu'on se prĂ©sentait Ă la sociĂ©tĂ© de maniĂšre convenable, quâavoir les cheveux bouclĂ©s, c'Ă©tait Ă se nĂ©gliger et ne pas se conformer Ă ce qu'on attendait de nous en sociĂ©tĂ©.
Et donc ça c'est quelque chose que j'ai intĂ©riorisĂ© pendant trĂšs longtemps et j'arrĂȘtais de me lisser les cheveux pour des raisons totalement... d'opportunitĂ© de prĂ©pa oĂč on n'a pas le temps de se lisser les cheveux parce qu'on prĂ©fĂšre dormir que de se lisser les cheveux. TrĂšs clairement.
Et donc ça a été un premier critÚre de discrimination mais par l'intérieur.
đđŸÂ Jâauto-interromps lâĂ©change pour te dire que si le sujet capillaire tâintĂ©resse, voici quelques ressources dans lesquelles tâimmerger đđŸ
đđŸÂ Le compte de Kenza qui parle avec humour de ces questions de prĂ©jugĂ©s capillaires et des discriminations qui les accompagnent. Comme avec ce post « Nos cheveux sont professionnels ».
đđŸ Le court-mĂ©trage Good Hair qui raconte lâhistoire dâune jeune fille confrontĂ©e Ă la « dressing policy » discriminante de son Ă©cole avec une mĂšre aux prises de sa propre expĂ©rience. TrĂšs chouette (et un tantinet dĂ©primant though).
đđŸÂ Le podcast My hair power hostĂ© par Kelly Massol dont un Ă©pisode avec Kenza dont je te parlais Ă lâinstant.
Et voilĂ ! Je te laisse te replonger dans lâĂ©change oĂč Farah nous partage Ă prĂ©sent comment elle a ressenti cette diffĂ©rence hors du cercle familial đđŸ
Farah â Pour l'extĂ©rieur le fait le plus marquant dont je pourrais te parler, c'est au lycĂ©e.
J'avais de trÚs trÚs bonne notes, ça se passait trÚs bien. J'étais en région parisienne, enfin, en banlieue parisienne, mais je n'étais pas dans une zone sociale trÚs compliquée. C'était plutÎt pavillonnaire.
Pour autant, au moment de faire les vĆux pour Parcoursup â enfin, sur APB, son ancĂȘtre â, je fais mes vĆux et on me recommande une prĂ©pa parce que j'avais les notes et le profil pour. Je remplis les vĆux assez innocemment en mettant des prĂ©pas en droit, Ă©conomie et gestion, puisque c'est ce que je voulais faire. Et donc forcĂ©ment je mets une prĂ©pa parisienne en premier voeu. Et lĂ je prĂ©sente mes voeux Ă mon professeur principal qui me dit :
« C'est trĂšs bien ! Par contre tu vas devoir backer ton premier parce que ce nâest pas sĂ»r que tu l'aies comme tu viens d'un lycĂ©e du 93. Il vaudrait mieux que tu mettes en deuxiĂšme, troisiĂšme, etc. des facs et prĂ©pas de secteur. »
Bon, ironie, j'ai eu mon premier voeu, mais c'est sûr que ça a été un signal, en tout cas de barriÚre qu'on pouvait se mettre via nos origines sociales supputées⊠En tout cas par rapport au lycée d'appartenance.
C'est marrant, enfin non pas du tout, mais lundi j'en discutais avec des amies qui venaient aussi du 93 et elles m'expliquaient que pour APB et pour tous ces dossiers et ces CV, elle mettait l'adresse de sa tante qui habitait dans 92 et non pas dans 93 pour augmenter en fait ses chances tout simplement de déjà passer un certain screening.
Farah : Et c'est assez vĂ©ridique, parce que moi dans la classe prĂ©pa dans laquelle oĂč j'Ă©tais â au lycĂ©e Turgot Ă Paris dans le troisiĂšme arrondissement, dans le marais â, il est vrai qu'il y avait trĂšs peu de personnes qui venaient de banlieue. Et encore moins du 93.
Il y avait quand mĂȘme une certaine proportion de boursiers. Je crois que c'Ă©tait de l'ordre de 6 ou 7, 8 %. C'est dĂ©jà ça, mais c'est sĂ»r que c'Ă©tait pas en surreprĂ©sentation et qu'il y avait Ă©galement certains professeurs qui pouvaient avoir des poncifs sur d'oĂč on venait et qui pensaient que nĂ©cessairement venir du 93 Ă©tait de vivre dans un HLM avec 10 frĂšres et sĆurs. Alors que, ce n'est pas nĂ©cessairement le cas⊠et c'est ce qui est vĂ©hiculĂ© par les mĂ©dias â donc on ne peut pas totalement leur en vouloir.
Pour autant ce sont des stéréotypes qui n'aident pas à aller au-delà des barriÚres de l'orientation.
HĂ©lĂšne : ComplĂštement. Moi j'ai vĂ©cu une expĂ©rience similaire, banlieue parisienne aussi, pas la mĂȘme. Mais dĂ©jĂ Ă l'Ă©poque, alors qu'on a un certain nombre d'annĂ©es d'Ă©cart, je vivais la mĂȘme chose.
Ă l'Ă©poque, je me disais : comment je peux faire pour retirer mon adresse postale, faire en sorte que je vienne d'ailleurs ?
Et, l'autre sujet, c'était de ne surtout pas mettre ma photo. Je savais que ça me desservirait.
Jâai un prĂ©nom on ne plus classique et mon nom de famille n'est pas forcĂ©ment Ă©vocateur, mais pour moi, mettre ma photo, c'Ă©tait vraiment me tirer une balle dans le pied. Alors, tant qu'elle n'Ă©tait pas demandĂ© et que c'Ă©tait pas une action obligatoire, j'ai refusĂ© de la mettre pour mettre toutes les chances de de mon cĂŽtĂ©.
Et sur l'aspect cheveux texturĂ©sâŠ
Moi j'ai les cheveux extrĂȘmement frisĂ©s, et de l'interne, mon pĂšre m'a toujours dit : « Pourquoi tu touches Ă tes cheveux ? Pourquoi tu les dĂ©frises? Pourquoi tu les laisses lisses ? »
Je lui expliquais gentiment que ce n'Ă©tait pas une question de renier ses racines ou autre â parce que ça lui faisait beaucoup de peine. Mais c'Ă©tait simplement pour m'intĂ©grer dans une sociĂ©tĂ© qui voulait que, en tout cas moi dans ma croyance, qu'on soit non pas forcĂ©ment blonde aux yeux bleus mais a minima qu'on ait des cheveux lisses. Et ce n'Ă©tait pas par praticitĂ©, c'Ă©tait juste pour ĂȘtre comme tout le monde.
Farah : Oui c'est ça.
Et c'est vrai que dans la prĂ©paration de l'entretien Farah on en avait beaucoup Ă©changĂ© sur lâimportance de l'apparence dans ta famille, est-ce que tu peux nous en toucher un mot ?
Farah : Oui, je pense â enfin avec un peu de recul â que j'ai eu des parents qui ont fait en sorte qu'on ait certains codes, parce que eux aussi ont observĂ©, bien que n'Ă©tant pas dans des milieux d'influence ou de pouvoir ou mĂȘme de milieu classique de bureau, qui nous ont en fait transmis une partie de leurs inquiĂ©tudes sur l'apparence qu'il fallait avoir pour s'intĂ©grer.
Jâaime pas vraiment ce terme « s'intĂ©grer » parce qu'on Ă©tait totalement intĂ©grĂ©s, mais en tout cas pour se fondre dans la masse.
C'est plutÎt ça qui fait que moi dÚs la plus tendre enfance.
J'ai une mĂšre qui m'expliquait que c'Ă©tait important d'ĂȘtre trĂšs soignĂ©e, d'avoir de beaux ongles, d'avoir une belle tenue. AprĂšs, au fur et Ă mesure de l'adolescence, ça a Ă©tĂ© un peu de maquillage. Et, cette forme de coquetterie, câĂ©tait aussi effacer certains stigmates sociaux et laisser transparaitre la meilleure image de soi.
Parce que, finalement, c'est toujours la premiĂšre impression de soi qui fera la diffĂ©rence. Il peut y avoir la maniĂšre de s'exprimer, mais il y a aussi la maniĂšre de se vĂȘtir, de se comporter, sa posture. Et ça mes parents ont beaucoup fait attention à ça parce qu'ils ont observĂ© dans leur entourage ce qui fonctionnait, ce qui fonctionnait un peu moins bien et qui voulait je pense nous retirer un frein qui Ă©tait possible d'actionner.
Il y a d'autres freins du capital social / capital économique sur lequel on ne peut pas nécessairement avoir de prise. Mais en tout cas, l'apparence est quelque chose sur lequel on peut avoir une influence.
HĂ©lĂšne : ComplĂštement. Moi je pense que ça a Ă©tĂ© un sujet jusqu'Ă ce que j'ai des enfants. J'y ai prĂȘtĂ© une attention particuliĂšre parce que je savais Ă quel point c'Ă©tait important.
Et puis Ă un moment je me suis affranchie de ça en me disant, je suis comme je suis. Il se trouve que j'aime porter des baskets. Alors je prends soin de moi, ce n'est pas le sujet, mais jâai pas forcĂ©ment la tenue qui qui est attendue de ma fonction, de mon rĂŽle dans l'entreprise.
Je pense que la posture doit aller Ă peu prĂšs. Mais en revanche, pour moi, c'est important d'ĂȘtre alignĂ©e, que je sois alignĂ©e entre ce que je dĂ©gage, entre guillemets, ma façon de m'habiller, qui est vraiment la mienne. Ce sont des vĂȘtements dans lesquels je me sens bien. Il se trouve que par ailleurs, ce sont ceux que je crĂ©e aussi aujourd'hui. Donc c'est important pour moi de les valoriser aussi comme ça.
J'ai préféré opter pour l'utile et l'agréable plutÎt que les codes vestimentaires, les codes sociaux, etc.
Et c'est vrai que, on parlait des cheveux, je vois Ă quel point ça gĂ©nĂšre des attitudes Ă©tonnantes. Le fait d'arriver coiffĂ©e comme je le suis aujourd'hui, c'est-Ă -dire les cheveux Ă peu prĂšs accrochĂ©s dans un Ă©lastique â mais je peux faire beaucoup mieux en termes de volume, etc. Ăa gĂ©nĂšre systĂ©matiquement en temps de... « Elle n'est pas sĂ©rieuse. Elle est sans doute un peu fofolle. »
Alors que non, ce n'est pas le sujet. Mais je trouve qu'on accole beaucoup de choses Ă notre apparence physique.
Oui mais c'est super intĂ©ressant de se dire, je reprends ce que vous disiez sur les cheveux â bon moi je n'en ai pas aujourd'hui [rires] donc ce nâest plus un sujet non plus. Mais le fait que le neutre, professionnellement, ce soit des cheveux lisses, quâil nây ait pas un frisotti de travers, ça montre aussi certaines choses.
snack break - onđĄ
Je mâauto-interromps de nouveau pour filer le sujet et te partager une anecdote et quelques chiffres.
Le saviez-tu ? đđŸ On surnomme cette incapacitĂ© Ă porter ses cheveux au naturel, « discrimination capillaire ».
Dans une interview donnĂ©e Ă Ellen Degeneres en 2022, Michelle Obama elle-mĂȘme confiait avoir attendu de quitter la Maison Blanche pour porter des tresses â et ainsi Ă©viter de potentiels scandales qui auraient « dĂ©tournĂ© » lâagenda politique dĂ©mocrate.
« âLet me keep my hair straight,â Obama recalled thinking. âLetâs get healthcare passed.â » Gloria Oladipo, The Guardian, 2022
En 2023, une étude menée par Dove x Linkedin sur la discrimination capillaire au travail mettait en exergue ceci :
đđŸââïž Les cheveux des femmes afro-descendantes ont 2,5 fois plus de chance dâĂȘtre considĂ©rĂ©s comme non-professionnels
đđŸââïžÂ 66% dâentre elles changent de coiffure avant un entretien dâembauche â en majoritĂ© pour se les lisser
đđŸââïžÂ 44% des femmes afro-descendantes de moins de 34 ans ont lâimpression de devoir porter des cheveux lisses sur leur photo dâidentitĂ©. Ceci fait dâailleurs Ă©cho aux propos dâHĂ©lĂšne qui, avec lâĂąge et la progression de son statut social, nous racontait avoir progressivement pu se dĂ©tacher de ces injonctions ressenties plus jeune.
Recueillis aux US, ces chiffres ont Ă©galement servi Ă soutenir une proposition de loi dĂ©posĂ©e en France sur la discrimination capillaire Ă lâAssemblĂ©e Nationale fin 2023.
Revenons Ă nos poissons-moutons.
snack break - off đĄ
J'avais une autre question, cette fois-ci, plus sur l'Ă©ducation. Parce que vous aviez parlĂ© du fait que vous Ă©tiez toutes les deux de les banlieue parisienne, pas forcĂ©ment la mĂȘme, mais, dans quelle mesure vos parents vous ont aussi donnĂ© accĂšs Ă un capital social qui vous permettait justement de continuer cette intĂ©gration dont on parlait tout Ă l'heure ?
Toi tu m'as parlé de patinage artistique avec Philippe Candeloro quand on s'était vues. Je sais bien que tu nous en dis plus. Et Farah aussi, tu m'avais beaucoup dit que tes parents avaient tout misé sur cette éducation.
HĂ©lĂšne : ComplĂštement. Pour mes parents câĂ©tait vraiment un point hyper important. Eux n'avaient pas nĂ©cessairement eu la chance par ailleurs d'accĂ©der Ă des activitĂ©s et autres.
Quand j'Ă©tais petite j'ai fait du piano, j'ai fait de la musique de chambre, du tennis et du patinage artistique. Je cĂŽtoyais donc des sphĂšres qui n'Ă©taient pas forcĂ©ment celles que je cĂŽtoyais au collĂšge qui Ă©tait un collĂšge classĂ© Zone d'Ăducation Prioritaire Ă lâĂ©poque [NLDR : soit, Quartiers Prioritaires de la Ville aujourdâhui].
Je faisais le camĂ©lĂ©on en permanence pour ĂȘtre acceptĂ©e partout, tout le temps.
C'était un exercice qui n'était pas forcément évident mais je crois que je me suis prise au jeu et c'est resté.
Et dans cette sphÚre là aussi, il n'y avait pas forcément d'incarnant, à l'époque.
Pour celles et ceux qui connaissent le patinage artistique, on avait Surya Bonaly qui Ă©tait pour moi une forme de compĂ©tences absolues dans cette discipline ; mais qui a trĂšs vite Ă©tĂ© rejetĂ©e. Il y avait tout un sĂ©rie de choses un peu compliquĂ©es autour de cette athlĂšte. Au tennis il n'y avait pas encore les sĆurs Williams Ă l'Ă©poque. Donc pareil, c'Ă©tait compliquĂ© pour moi.
à chaque fois je me disais : « Je ne ressemble pas à ces gens-là , donc j'ai beau essayer de faire des activités, etc. Je ne vois pas de gens qui me ressemblent ».
Et au piano, n'en parlons pas [rires].
Oui, en plus je pense que le piano, il y a aussi une question d'Ăąge.
HĂ©lĂšne : Peut-ĂȘtre. En tout cas, j'ai pas trouvĂ© d'incarnant qui me ressemblait.
Farah : Alors moi, mes parents ont avant tout mes parents misé sur le matériel et la disponibilité.
Quand je parle de matériel, c'est que mes parents, dÚs qu'on a eu 5, 6, 7 ans, avec mes trois frÚres et soeurs,, ils se sont dit : on va acheter une maison avec trois chambres.
Comme ça, ils auront chacun leur espace pour travailler, pour s'isoler, avoir du temps pour soi, etc. Ils avaient conscience de l'importance que ça a dans la scolarité, de pouvoir avoir son espace, sans forcément eux avoir fait des études. Ils ont tout misé là -dessus et dÚs que j'ai eu 7-8 ans, ils ont acheté leur maison, et j'avais ma chambre.
Je sais que c'est assez exceptionnel, parce que j'avais beaucoup de camarades pour qui câĂ©tait pas le cas. Mes parents ont aussi beaucoup rĂ©gulĂ©s nos loisirs comme typiquement âŠau niveau de l'ordinateur. C'Ă©tait une heure chaque soir et il n'y avait pas de nĂ©gociations possibles Ă ce sujet-lĂ .
Enfin, on sâentraidait beaucoup dans la fratrie. Vu qu'on avait un an d'Ă©cart chacun, forcĂ©ment, on Ă©tait amenĂ©s Ă sâaider les uns les autres pour nos devoirs.
AprĂšs, mes parents surveillaient quand mĂȘme ce qu'on faisait. Mais il y a un moment oĂč, bon, il y a un dĂ©crochage qui se fait nĂ©cessairement Ă partir de la cinquiĂšme, quatriĂšme, quand on commence Ă faire des maths un peu difficiles ou compliquĂ©es.
Mais avant tout, mes parents, c'Ă©tait une question de suivi. Ils nâont ratĂ© aucune rĂ©union parents-prof. Vraiment, ils mettaient un point d'honneur Ă ĂȘtre tous les deux lĂ , Ă venir, Ă poser des questions, Ă se renseigner. Ils posaient Ă©normĂ©ment de questions sur lâorientation.
Je sais quâils se sont beaucoup renseignĂ©s pour nous sur ces questions-lĂ sans forcĂ©ment comprendre. Mais ils ont vu l'Ă©ducation comme un prĂ©alable pour la suite, professionnelle ou pas dâailleurs.
LâĂ©ducation, câĂ©tait surtout la voie pour avoir le choix.
Mes parents ne m'ont jamais guidée vers un métier en particulier. Ils m'ont juste dit qu'il faut étudier, quelles que soient les études, pour avoir le choix. AprÚs tu feras ce que tu veux, des études, pas des études, un métier artistique ou pas. C'est tous les moyens qu'ils ont mis en oeuvre en tout cas pour faciliter leur orientation.
Mais dans le domaine sportif, j'ai testĂ© plein de sports aussi qui appartiennent peut-ĂȘtre Ă des classes diffĂ©rentes de celle dont je suis issue : jâai fait du tennis et du volley. Je n'ai pas Ă©tĂ© trĂšs rĂ©guliĂšre parce que les sports, ce n'est pas trop mon truc, mais c'est sĂ»r que j'Ă©tais amenĂ©e Ă cĂŽtoyer des personnes assez diffĂ©rentes de moi. Ăa a ouvert le champ de mes possibles.
C'est super intéressant ! Je file un peu ce qu'on disait, mais pour continuer cette intégration dans le monde du travail, puisque toi tu as une éducation sur le droit, il n'y a pas forcément beaucoup de concret. AprÚs moi je n'ai pas du tout fait de droit, j'ai fait une école de commerce, donc je sais que c'est différent.
Est-ce que tu pourrais aussi m'en dire plus sur le mentorat et justement comment ce relai un peu parental a pu t'aider Ă progresser ensuite dans ta vie pro?
Farah : Le mentorat ça a eu une grande place dans ma vie. Jâai fait des Ă©tudes de droit et c'est un secteur qui est assez compĂ©titif. En plus, j'ai choisi de faire des facs parisiennes â pour ne pas les citer la Sorbonne et la Assas â qui sont rĂ©putĂ©es comme Ă©tant des lieus oĂč il y a beaucoup de compĂ©tition entre les Ă©lĂšves, oĂč c'est assez difficile de s'intĂ©grer et de crĂ©er des groupes.
Et j'ai eu un dĂ©clic entre ma L3 et mon M1. J'ai fait une annĂ©e de cĂ©sure Ă Londres. Je voulais me reposer â surtout des Ă©tudes â, et voir autre chose.
Ă Londres, j'ai vu un peu comment fonctionnaient les choses. Il y avait vraiment le cĂŽtĂ© oĂč si tu parles pas aux personnes, les personnes ne viennent pas Ă toi. Et, au contraire, si tu viens leur parler, il y a des opportunitĂ©s qui peuvent s'ouvrir.
On regarde beaucoup moins les questions de diplĂŽme ou autres, on donne un peu plus sa chance.
Quand je suis revenue, je me suis dit : je vais faire des stages jusqu'Ă la fin, sans discontinuer, parce que je sais que c'est lĂ oĂč il faut que je sois pour me crĂ©er mes opportunitĂ©s et gagner confiance en moi. Jâai fait un stage en cabinet d'avocat que j'ai trouvĂ© assez par hasard via une amie de prĂ©pa qui avait fait son stage l'annĂ©e d'avant et j'y ai beaucoup appris.
J'ai rencontrĂ© deux personnes qui sont toujours des personnes avec qui je suis en contact aujourd'hui, dont une qui joue vraiment le rĂŽle de mentor Ă chaque Ă©tape de ma vie. Elle peut ĂȘtre en mesure de me conseiller, de me mettre en relation avec des personnes â rien que pour boire un cafĂ©, discuter de ce qui est possible de faire, de ressentis par rapport Ă certains secteurs etc.
Et aujourdâhui je trouve que le mentorat, câest des secteurs qui est le plus sous-exploitĂ© dans le cadre de l'orientation.
C'est quelque chose finalement qui a toujours existé, mais qui est souvent happé par des personnes qui sont dans des milieux d'influence ou en tout cas dans des milieux intellectuels plutÎt élevés.
Pourtant, c'est par lĂ qu'on arrive Ă construire des chaĂźnes de solidaritĂ© et Ă acquĂ©rir tout ce qui va ĂȘtre codes. Comme : comment on rĂ©dige un mail, comment on se prĂ©sente Ă un entretien, comment on peut Ă©crire, je ne sais pas, sur LinkedIn Ă quelquâun pour lui proposer de se rencontrer etc..
Ăa, moi je ne savais pas que c'Ă©tait possible avant de rencontrer mes mentors.
Ils mâont dit : mais en fait prend le numĂ©ro de telle personne aller boire un cafĂ© et moi ça m'a beaucoup surprise. Et c'est rigolo, parce que des annĂ©es aprĂšs j'ai rĂ©alisĂ© que des personnes avec qui j'Ă©tais en classe prĂ©pa donc Ă 18-19 ans, eux faisaient ça depuis toujours.
Je vois ! Pour eux câĂ©tait presque un rĂ©flexe, toi tu as dĂ» lâapprendre.
Farah : Et il y a plein de codes de rencontre de personnes dont le parcours nous intéresse ou nous inspire. Il faut apprendre à la doser aussi. Et ça, c'est pas quelque chose que j'ai appris dans mon milieu social d'origine.
Et pour toi, HĂ©lĂšne?
Je rejoins complĂštement ce que dit Farah.
Câest une clef pour pouvoir naviguer dans les eaux troubles, Ă la fois au moment de l'orientation mais aprĂšs tout au long de son parcours professionnel. Il y a aujourd'hui tout un tas de structures qui Ćuvrent sur ce sujet.
Alors on appelle ça mentorat, parrainage, peu importe. Mais c'est intéressant de voir qu'il y a des structures qui se mobilisent justement pour des jeunes sans réseau, pour des jeunes issus de la diversité sociale, ethnique, culturelle, peu importe.
En tout cas, de se dire quâĂ un moment quand on peut pas connecter quand c'est pas forcĂ©ment Ă©vident, on met Ă disposition des professionnel·les de diffĂ©rentes entreprises partenaires qui peuvent accompagner, qui de parcours supâ, qui du petit mail qui va bien, qui de la connexion pour obtenir un stage etc.
Et effectivement, valider les codes.
Moi j'ai Ă©tĂ© marraine pendant trois annĂ©es par le biais d'une association qui visait plutĂŽt les jeunes femmes, et plutĂŽt des jeunes femmes issues de Quartier Prioritaire de la Ville ou en zone rurale. Et j'ai vu Ă quel point c'Ă©tait compliquĂ©, puisque, encore une fois, j'ai un Ă©cart dâĂąge avec elles qui devient important.
Jâai quittĂ© une banlieue parisienne qui a nĂ©cessairement Ă©voluĂ©. Se replonger dedans et se redire Ă quel point on ne vit pas les mĂȘmes choses, Ă quel point on ne vit pas la mĂȘme vie, on peut faire preuve d'empathie, mais on ne vit pas la mĂȘme vie. Donc ça reste quand mĂȘme trĂšs particulier.
Et le fait de se poser 5 minutes et de se dire « ok je comprends mieux ton environnement, ta façon de travailler, tes problématiques, tes attentes, tes besoins, et je vais essayer d'accompagner là dedans » sur des choses hyper simples.
En fait de se dire, non effectivement on peut pas forcĂ©ment venir Ă un premier entretien avec des baskets dĂ©pareillĂ©s ou des je sais pas, des ongles Ă©caillĂ©s, ça ne se fait pas. C'est tout bĂȘte, mais aujourd'hui il ya plein de jeunes qui ne le savent pas nĂ©cessairement parce qu'on leur a pas dit. On leur a pas appris, ils n'ont pas connectĂ© avec des personnes qui vont leur livrer ce type d'informations. Et je trouve que c'est hyper prĂ©cieux quand on cherche Ă commencer sa vie professionnelle.
Et puis, au fil de l'eau c'est déterminant je pense pour se créer des opportunités pour rester alors « compétitif » ou pas, mais en tout cas, pour se donner des chances d'avancer et de faire bouger ses propres lignes.
Je trouve que c'est important d'ĂȘtre accompagné·e quel que soit le mode d'accompagnement. Et c'est vrai que, plus on va rĂ©ussir Ă engager des professionnels au sein d'entreprise, de structures tierces etc., plus on arrivera sans doute Ă une sociĂ©tĂ© peut-ĂȘtre plus juste, parce qu'on laissera moins de gens sur le carreau.
Ok, super intéressant. En vous écoutant, je me pose une question qu'on n'a pas du tout préparée [rires], mais qui est la suivante. En cherchant justement à s'intégrer, à avoir les bons codes à chaque fois dans ce milieu professionnel, et en faisant une... Je sais pas si on peut parler de⊠en devenant une sorte de transfuge de classe, comment on arrive aussi à mieux se connaßtre et à s'affirmer ?
Parce qu'il y a un peu ce risque aussi de vouloir rentrer Ă tout prix dans un moule et de se perdre. Je ne sais pas si c'est des questions que vous ĂȘtes dĂ©jĂ posĂ©es. Mais comment avez-vous fait ?
Farah : Je vais prendre l'initiative de répondre. En réalité, moi je ne me considÚre pas comme transfuge, mais plutÎt comme transclasse. En fait, il y a un débat entre les deux notions.
Je ne savais pas du tout. Pour moi, c'Ă©tait la mĂȘme chose ! Tu peux nous en dire plus ?
Farah : Alors, trans-classe, ça prend davantage en considération les migrations. C'est que finalement, le...la destination n'est jamais définitive.
On est amenĂ© Ă migrer entre notre milieu social d'origine, le milieu social dans lequel on arrive. Et dâailleurs le milieu social dans lequel on arrive n'est pas nĂ©cessairement plus avantageux que celui de quel on vient.
D'un point de vue Ă©conomique, par exemple, on peut totalement ĂȘtre freelance, mais avoir un capital culturel bien plus important que celui de ses parents et avoir des parents qui gagnent plus d'argent. En fait, c'est des questions de oĂč on se situe par rapport Ă quelle valeur.
Finalement, ĂȘtre trans classe c'est ĂȘtre toujours dans ces migrations-lĂ , toujours Ă aller d'un point A Ă un point B.
Il y a des personnes qui vont se considĂ©rer comme apatride de classe, parce que finalement on n'est jamais Ă sa place. Dans sa classe sociale d'origine, on va ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une personne qui a fait un chemin diffĂ©rent de celui de ses pairs et donc il va y avoir un dĂ©calage. Et dans celui dans lequel on arrive, on va ĂȘtre un imposteur parce que finalement on aura travesti certains codes quâon aura appris par mimĂ©tisme, mais finalement on ne vient pas de ce milieu-lĂ non plus et on le rappellera Ă la moindre occasion en cas de faux-pas.
Ă titre personnel, j'estime que c'est une richesse d'ĂȘtre trans-classe parce que ça permet de se mettre Ă chacune des positions et de comprendre le vĂ©cu des personnes. Je ne jugerais jamais quelqu'un qui manquerait de codes, parce que je sais que ce n'est pas Ă©vident de les acquĂ©rir et jâessaierais de faire preuve d'empathie.
Admettons que je sois recruteuse, si une personne vient Ă Ă un entretien dâembauche avec du vernis Ă©caillĂ© â pour filer lâexemple â, je me dirais que peut-ĂȘtre personne lui a dit que ça pouvait donner l'impression que c'Ă©tait nĂ©gligĂ©, sans forcĂ©ment me dire tout de suite que la personne soit elle-mĂȘme nĂ©gligĂ©e dans son travail.
Mais ça c'est des questions de codes sociaux, pareil pour les questions de rédaction de mails, les questions de comment on s'adresse à des personnes selon le secteur d'activité. Mais si on le sait pas et si on ne nous le dit pas, on ne peut pas l'acquérir.
Câest surtout ça pour moi, ĂȘtre trans-classe : avoir la capacitĂ© d'ĂȘtre fluide et agile dans sa vision des choses.
Super intéressant, merci beaucoup. Je vois que l'heure tourne, donc je vais vous poser une derniÚre question. Farah, je sais que toi tu t'investis beaucoup dans l'associatif aujourd'hui justement, dans cette logique de propulser l'égalité des chances.
Est-ce que tu pourrais nous dire un peu plus sur tes activités?
Farah : Oui, absolument l'associatif, ça a toujours été trÚs important pour moi. Et donc avec Armand et Romain, on a créé une association qui s'appelle Tu Feras Quoi Plus Tard. C'est une association d'égalité des chances et qui a pour vocation de rendre davantage accessible l'orientation et la rendre plus inclusive.
Parce qu'aujourd'hui, l'orientation, c'est un mot qui fait peur, mais qui recouvre aussi pas mal d'inĂ©galitĂ©s, soit dans l'accĂšs Ă l'orientation, l'information sur l'orientation, les asymĂ©tries d'information sur l'orientation selon le milieu social d'origine â qu'on soit de banlieue ou mĂȘme de zone rurale, qu'on soit valide ou en situation de handicap.
C'est important de mettre en avant ces profils-là parce que finalement, dans la société, on met souvent en avant des personnes aux profils exceptionnels et parfois inatteignables avec lesquels on ne s'identifie pas nécessairement.
Et, pour nous, lâorientation ça passe par l'incarnation, la reprĂ©sentation et le fait de se reconnaĂźtre dans l'autre et de se dire que certaines trajectoires sont accessibles et qu'il suffit finalement d'avoir les bonnes informations et les bonnes cartes en main pour ĂȘtre libre et de s'orienter mĂȘme de maniĂšre plurielle â puisqu'il y a plusieurs orientations, de dĂ©dramatiser le fait de se tromper aussi.
Merci. Et toi HĂ©lĂšne, je sais que toutes ces questions d'orientation arrivent Ă se trouver, bien se connaĂźtre. En fait, toutes les questions qu'on se pose au fur et Ă mesure de sa vie, t'importent beaucoup. Quels seraient peut-ĂȘtre des conseils ou des choses que tu aimerais faire passer avec toute la pluralitĂ© de tes activitĂ©s ?
HĂ©lĂšne : Moi je dirais viser haut. Vraiment.
Se faire confiance, mĂȘme quand les autres ne croient pas forcĂ©ment en nous.
Essayer, toujours. Voilà , prendre l'initiative. Se tromper c'est pas grave dans les faits, mais vraiment se laisser l'opportunité d'essayer.
Connecter au maximum avec des ondes positives. Aller chercher la richesse de l'autre quel qu'il soit, vraiment et de se dire que l'autre, avec un grand A, peut ĂȘtre utile, mais alors au sens le plus noble possible dans son parcours, Ă tout moment. Et vraiment se connecter avec des gens qui ne nous ressemblent pas, qui nous font Ă©voluer, rĂ©flĂ©chir, se poser de nouvelles questions. Ăa me semble important ne pas avoir peur.
Je crois quâencore une fois, ça s'acquiert avec la maturitĂ© et dans cette dynamique de test and learn oĂč on va essayer des choses, on va se tromper, on va rĂ©essayer, et puis on va reconnecter Ă quelqu'un d'autre, et ça va fonctionner, etc.
Et enfin : se dire qu'on a une place dans la société, quoi qu'il arrive.
Merci encore Ă vous pour cet Ă©change, câĂ©tait super instructif ! JâespĂšre que ça pourra rĂ©sonner pour dâautres nageur·ses.
đđŸÂ Le sujet de la reprĂ©sentation tâintĂ©resse ? Je tâinvite Ă te plonger dans lâĂ©dition de la Ploufletter sur Riz Ahmed autour de lâimportance dâavoir des role models pour se construire, ou bien celle sur lâinfluence de lâhĂ©ritage migratoire sur les parcours de nage avec les fondatrices de Bissai Media.
đ so what ?
Une des choses que jâai adorĂ© avec cette discussion, c'est la diffĂ©rence de points de vue sur certains aspects de la construction identitaire dâHĂ©lĂšne et Farah â alors mĂȘme quâa priori leurs expĂ©riences se ressemblent. Lâoccasion de se rappeler que bien quâil y ait des similitudes dans les chemins de nage â systĂ©mie oblige â, la maniĂšre dont on choisi de vivre ses diffĂ©rences nous est propre.
JâĂ©changeai pas plus tard que cette semaine avec une nageuse qui me parlait de la place prĂ©gnante quâa pris la quĂȘte identitaire dans son dĂ©veloppement personnel. « Comme une obsession » me disait-elle, consciente que pour dâautres, ceci ne reprĂ©sentait pas un prĂ©-requis pour construire leur parcours pro.
Enfin, cette discussion mâa confirmĂ© lâimportance de donner Ă voir diffĂ©rents role models est primordial pour sentir que son expĂ©rience est valide, tout comme se constituer un Ă©cosystĂšme safe et porteur.
PS : si tu veux je parle belonging â en anglais â avec Louise MouliĂ© sur son podcast Diversity Secrets. Crawle par ici pour te plonger dans la conversation đ
đ tu cherches un job Ă impact ?
Temps de lecture : 2min30
Parfois, on a beau avoir envie de bifurquer, on ne sait pas oĂč chercher. Alors, voici le lien vers quelques plateformes qui peuvent tâaider Ă trouver palme Ă ton pied si tu cherches un job Ă impact â social environnemental đđŸ
đđŸââïžÂ Jobs that makesense â soit le Whalecome To The Jungle de lâimpact.
La plateforme te permet de filtrer selon le type dâimpact que tu privilĂ©gies : social ou environnemental â et câest super pratique.
đđŸââïžÂ La section Emploi du rĂ©seau RESES â plutĂŽt orientĂ©e Ă©tudiant·es et jeunes diplĂŽmé·es.
Dâailleurs si tu nây trouves pas palme Ă ton pied, RESES te propose aussi un listing des plateformes pour trouver un job engagĂ© ainsi que des articles pour tâaider dans ta recherche dâemploi : https://le-reses.org/blog/categorie/emploi/
đđŸââïžÂ Job Impact â un naming qui, je le reconnais, mâa un peu fait tiquer.
La plateforme se situe à la croisée entre le média de vulgarisation et le job board, plutÎt utile pour nourrir sa curiosité en postulant : https://jobimpact.fr/
đđŸââïžÂ Les rĂ©sâeaux engagĂ©s.
Ok, je triche, ce nâest pas une plateforme de recrutement Ă proprement parler. En revanche, passer par des communautĂ©s peut ĂȘtre super utile pour tâaider Ă identifier les entreprises dans lesquelles tu souhaites tâinvestir.
Voici donc quelques rĂ©sâeaux dans lesquels piquer une tĂȘte đđŸ
â Les startups Ă impact du Mouvement Impact France sont rĂ©pertoriĂ©es sur ce mapping : https://mapping-startups-impact.fr/
â Les entreprises membres de la communautĂ© B Corp sont listĂ©es ici : https://bcorporation.fr/la-communaute-b-corp/decouvrir-la-communaute-francaise-des-entreprises-b-corp/
â Enfin, la liste des entreprises Ă mission est dispo par lĂ : https://www.entreprisesamission.org/
â ïžÂ J'aimerais ne pas avoir Ă le noter mais attention au washing en tout genre. Entre communiquer sur ses valeurs et (vraiment) faire les choses, il y a parfois un ocĂ©an...
đđŸââïžÂ Bonus : je te recommande le site GĂ©nĂ©ration TĂ©lĂ©travail si ton dream câest de rejoindre un club de nage (aka une entreprise) Ă Paris tout en ayant le cadre de vie dâun·e surfeur·se au Pays Basque. Attention cependant, lâimpact nâest pas un critĂšre de choix des offres.
đ Â quelques ressources pour aller plus loin
Vu la longueur de lâĂ©dition du jour, jâai fait court pour cette fois.
đđŸÂ Le « mini » docu Arte ContrĂŽler lâĂ©volution qui explore de nouvelles solutions â tech â pour enrayer la catastrophe.
đđŸÂ Cet article de Grist â un peu dĂ©primant jâen conviens â sur les effets du rĂ©chauffement climatique sur le dĂ©clin de la qualitĂ© de lâair.
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
Envie de travailler ensemble ? Tu peux :
đđŸ Tâimmerger dans mon media kit pour sponsoriser la Ploufletter et te rendre visible auprĂšs des swimmers.
đđŸ Plonger dans mes offres dâaccompagnement et de co-crĂ©ation de contenu (pour les entreprises et solopreneur·ses à impact)
đđŸÂ  Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email pour tĂ©moigner.
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
Tu peux aussi me retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/lapiscine_media/
Oui, le terme « paumée » est un leitmotiv chez moi.