L'or sinon rien - Comment l'histoire familiale influence t-elle notre orientation ? Immigration, orientation et devoir de réussite
Viser la lune, ça te fait peur ?
La Ploufletter est un espace crĂ©Ă© par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je tây apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă te connaĂźtre et construire une voie Ă ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. Le couloir de nage, câest la voie que lâon choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que lâon passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Plonger dans le carnet de jeu à lâeau pour lancer ton introspection,
DĂ©couvrir le programme introspectif de La piscine conçu pour tâaider Ă trouver ta voie·x,
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đ Avant le plongeon
Coucou toi ! Comment se passe la reprise en eaux libres ? Avec ce soleil et ces tempĂ©ratures, on s'imaginerait presque en bord de pacifique, non ? Petite recommandation de nageuse Ă nageur·se đ essaye dâeffectuer tes sorties en dĂ©but ou fin de journĂ©e, cela pourrait t'Ă©viter quelques dĂ©convenues.
Par ici le courant est fort mais l'endurance commence Ă ĂȘtre meilleure que les mois prĂ©cĂ©dents â hallelujah. J'ai mĂȘme le temps eu de passer Ă la piscine Molitor ce mois-ci (une sĂ©ance fort sympathique dont tu retrouveras certains propos ici!)
Aujourd'hui on parle devoir de rĂ©ussite, mĂ©ritocratie et partage d'expĂ©rience. Cette Ă©dition fait suite au podcast Nous sommes la gĂ©nĂ©ration qui shifte oĂč je recevais Chiguecky et Thu-An, co-fondatrices dâOrigines TV. Ăchanger autour de leur parcours de nage et de leur mĂ©dia passeur d'histoires d'immigration a fait germer beaucoup d'interrogations. J'ai donc Ă©tĂ© Ă la rencontre d'autres nageur·ses partageant ce vĂ©cu pour approfondir le sujet ma foi fort intĂ©ressant !
Ce billet fait état de ces réflexions menées dans le bassin.
Fasten your bouĂ©e, we're about to take off đââïž
đ On recrute des nouveaux nageur·ses. Tu veux rejoindre la team ? câest par iciđ
đŠ qui a le droit â de (se) raconter ?
le monopole du récit
« l'histoire appartient aux vainqueur·ses »
Dans l'ouvrage Génération surdiplÎmée. Les 20% qui transforment la France, Jean-Laurent Cassely et Monique Dagnaud parlent du rÎle essentiel que jouent les élites dans les changements structurels. à l'image de la loi de Pareto, ce sont les 20% des étudiant·es les plus diplÎmé·es qui dessineraient le paysage économico-socio-culturel de demain.
Il en va de mĂȘme pour la culture oĂč seules certaines voix·es s'expriment dans le bassin : celles des Ă©lites. Les raisons en sont multiples :
Elles manient le langage Ă la perfection. Elles sont le mieux Ă©quipĂ©es pour partager leur expĂ©rience et leur vision de la sociĂ©tĂ© natatoire de la maniĂšre la plus galvanisante possible (lâuniforme palmes, masque et tuba de compĂ©tition tu connais)
Elles se sentent légitimes à porter leur voix·es dans l'espace public. Voir et/ou entendre les récits de personnes à la trajectoire de nage similaire rend la prise de parole facile
Elles possÚdent les moyens de production (et financiers) nécessaires à la création et la diffusion de leur récit
Elles ont accĂšs Ă un rĂ©seau (capital social) pour diffuser leur rĂ©cit â auprĂšs de leurs pairs
Cette « confiscation » de la parole narrative a donc longtemps subjectivĂ© les catĂ©gories sociales infĂ©rieures au profit de celles dominantes. Ce manque de reprĂ©sentation a pu encourager une certaine reproduction sociale au sein de ces swimming teams manque dâexemples alternatifs.
de la subjectivité à l'agentivité
« Traductore traddutore »1
Cette mĂ©dia·tisa·tion des rĂ©cits dâune catĂ©gorie sociale par une autre questionne la diversitĂ© prĂ©sente dans la piscine, sa reprĂ©sentation ainsi que lâauthenticitĂ© des voix·es relayĂ©s.
La rĂ©volution numĂ©rique a dĂ©mocratisĂ© l'accĂšs aux moyens de production, permettant l'Ă©mergence d'une foultitude de nouveaux·elles crĂ©ateur·rices aux trajectoires de nage alternatives comme le nageur italien Khaby Lame. Cette (re)prise de pouvoir par l'action avait d'ailleurs fait l'objet d'une discussion Ă l'Ă©tĂ© du Podcast au Ground Countrol. Au cours de la sĂ©ance, le duo des MĂ©nestrel·le·s avait appelĂ© les nageur·ses issu·es de minoritĂ©s â raciales ou sociales â Ă s'emparer de ces nouveaux outils pour se raconter en leurs propres termes. Ceci pour Ă©viter de se voir croqué·es par un·e Ă©niĂšme journaliste ne partageant pas leur quotidien.
Passer par le podcast, la vidĂ©o, la newsletter et autres moyens « pirates » seraient donc les moyens de mener cette « guĂ©rilla mĂ©diatique » en se rĂ©appropriant sa trajectoire de nage (en faisant un bon fđck Ă la sociĂ©tĂ©).
Cette question de la représentation était le premier sujet abordé avec un·e des nageur·ses venu·es partager leur expérience ce mois-ci. Je te laisse en leur compagnie.
J'espÚre avoir su rester fidÚle à leurs voix·es, merci encore pour tous ces échanges.
en bande homogénéisée, personne ne pense à la diversité
« Si on ne le fait pas, qui nous racontera ? » me lance Fred, « Aujourd'hui ce sont les médias qui nous montrent, mais qui se reconnaßt dans ces images ? »
Nous sommes en mai, Ă Lyon. Il est 18h et l'Ă©vĂšnement startup du jour sâachĂšve. Les tables, quasi vides il y a quelques minutes, se remplissent Ă vue d'Ćil. Le bourdonnement des conversations remplace progressivement le faux silence des claviers. Un nageur de mon club de nage Ă©tudiant me rejoint et me prĂ©sente son ami, Fred, vingtenaire, d'origine africaine. Celui-ci sâĂ©clipse quelques minutes pour pitcher son projet auprĂšs « d'un reuf » occupant une position stratĂ©gique dans une licorne de la healthtech française. Une fois sa mission accomplie, il nous revient tout sourire. « Faut ĂȘtre solidaire » ponctue-t-il, goguenard, avant dâajouter « dans cet environnement, jâai lâimpression dâĂȘtre entourĂ© de clones ».
En un regard, je remarque la monochromie du milieu dans lequel nous nous trouvons. Il a raison. Toutes ces personnes qui se ressemblent, c'est intimidant â presque comme une photo Welcome To The Jungle.
La conversation continue et, au fur et Ă mesure, plusieurs similitudes apparaissent entre son discours et celui de Lina, Chiguecky, Thu-An ou encore Anne â que tu vas entendre dans cette Ă©dition.
đŠ « il y a certains mĂ©tiers qui font que tu rĂ©ussis ou pas dans la vie » thu-an
merci à ce bon vieux charlemagne
Dans les propos de Fred, on entend rapidement, en fond, l'envie de prendre sa revanche qui fait trop peu de place aux personnes de sa carnation mĂȘme sâil « ne croit pas au racisme ». Pour lui, rĂȘver, câest se crĂ©er un futur « grand » sur le podium de la piscine, Ă lâinverse de celui que lui prĂ©disaient certain·es de ses profs au lycĂ©e. In fine, la revanche dans le bassin s'est d'abord effectuĂ©e dans l'effort scolaire. Pour lui comme les autres, l'Ă©cole reprĂ©sentait un tremplin pour changer de catĂ©gorie Ă la FĂ©dĂ©ration Française de Natation.
« Jâavais intĂ©riorisĂ© quâil fallait que je mâĂ©chappe de ma condition sociale par lâĂ©cole et la mĂ©ritocratie. Ă chaque fois que jâĂ©tais avec des membres de ma famille ou mĂȘme des ami·es on me disait « il faut que tu travailles bien Ă lâĂ©cole, que tu tâen sortes » » Chiguecky â Au bord du bassin
Comme tous·tes les nageur·ses de la piscine Our Millennials Today, Lina a la vingtaine. Je la rencontre un dimanche matin sur zoom. Elle mâaccueille en peignoir de repos dans sa chambre, thĂ© en main, prĂȘte Ă me partager son histoire. AprĂšs avoir plantĂ© le dĂ©cor, elle mâexplique comment ses Ă©tudes lâont aidĂ©e dans sa progression sociale
« J'ai grandi dans une famille d'origine marocaine dans un quartier Ă l'Ă©poque sensible du XXĂšme arrondissement. C'Ă©tait pas Sarcelles ou les Muraux mais c'Ă©tait â Ă l'Ă©poque â un peu chaud. Sur le plan ethnique c'Ă©tait super diversifiĂ© [...].
Ăa a forgĂ© l'image de ce qu'Ă©tait la France et de ce Ă quoi devrait ressembler la sociĂ©tĂ© française. J'avais projetĂ© l'image de mon tout petit quartier dans mon arrondissement Ă l'Ă©chelle de la sociĂ©tĂ©. En grandissant je me suis rendue compte qu'il y avait un sacrĂ© dĂ©calage entre les deux [âŠ].
Depuis enfant j'avais intĂ©riorisĂ© le fait que l'Ă©cole et le travail Ă©taient super importants. CâĂ©taient mes alliĂ©s. Je savais que l'Ă©cole, c'Ă©tait le salut. » Lina
Ce besoin de rĂ©ussir â transmis par la famille â devient Ă la fois un but et effort collectif. Lâobjectif final : l'Ă©lĂ©vation sociale.
« Quand jâĂ©tais petite je voulais ĂȘtre mĂ©decin, pĂ©diatre plus exactement. Et jusquâĂ mes dix ans toute ma famille disait « elle va devenir la mĂ©decin de la famille ». Jâai eu cette injonction pendant trĂšs longtemps. Je pense quâil y a aussi ce truc dans ma famille que pour rĂ©ussir il faut ĂȘtre mĂ©decin, ingĂ©nieur, avocat etc. il y a certains mĂ©tiers qui font que tu rĂ©ussis ou pas dans la vie [..].
Moi je voulais ĂȘtre journaliste, on mâa dit de pas le faire parce que câĂ©tait pas viable » Thu-An â Au bord du bassin
« Je me souviens que quand jâĂ©tais petite jusquâĂ bien adolescente, jâavais honte du mĂ©tier de mes parents [âŠ]. JâĂ©tais toujours hyper mal Ă lâaise parce que mon pĂšre Ă©tait dans le bĂątiment et ma mĂšre dans le mĂ©nage, [âŠ]. Je me disais que câĂ©tait socialement pas respectĂ©, pas valorisant.
Jâavais aussi une forme de pression familiale Ă rĂ©ussir parce que de toutes les façons il fallait mieux faire que les parents. Et mieux que les parents câĂ©tait forcĂ©ment en faisant de grandes Ă©tudes et ĂȘtre devenant avocat ou mĂ©decin » Chiguecky â Au bord du bassin
speedo et growth moula
Dans ces conditions, difficile de se soustraire au schéma de réussite familial pré-établi.
« La rĂ©ussite dans ma famille est encore fortement liĂ©e Ă lâargent [âŠ] Bien sĂ»r que mes enfants feront ce qui leur plaĂźt, du moins je le leur souhaite. Moi, je veux constituer un matelas financier confortable. On est la gĂ©nĂ©ration entre deux » me glisse Auguste au cours de notre rencontre. Ce jeune diplĂŽmĂ©, la vingtaine et consultant depuis peu exprime ainsi la dichotomie prĂ©sente entre ses envies de nageur et les attentes de son club d'entraĂźnement familial.
Dans lâĂ©mission RĂ©ussite scolaire, quel rĂŽle pour les parents ? Ă France Culture, Louise Touret explore la maniĂšre dont on aborde cette idĂ©e selon notre milieu social. Il en ressort, entre autres, que les trajectoires de nage alternatives oĂč rĂ©ussite rime avec crĂ©ativitĂ© et/ou Ă©panouissement est l'apenage des CSP+. Ă l'inverse, les familles plus modestes auront tendance Ă la dĂ©finir selon des critĂšres plus tangibles comme le mentionnent les nageur·ses s'exprimant ici.
qui sâoccupe des palmes ? de la combi ?
De mĂȘme que les rĂŽles diffĂšrent dans une Ă©quipe de relais, le rang de naissance dans une adelphie2 dĂ©finit les responsabilitĂ© avec lesquelles le·a nageur·se composera pendant sa trajectoire â (im)matĂ©rielle·s ou non.
« Mon frĂšre est allĂ© vers sa passion, moi je n'y ai mĂȘme pas pensĂ© » Chiguecky â Au bord du bassin
AprĂšs avoir contractĂ© un prĂȘt Ă©tudiant pour payer sa scolaritĂ© en Ă©cole de commerce qu'elle a rĂ©cemment terminĂ©, Anne paye dĂ©sormais les frais de location de l'appartement de son frĂšre dans la proche banlieue parisienne. Son salaire de jeune cadre lui permet ainsi de soulager ses parents d'un coĂ»t natatoire supplĂ©mentaire. Cette charge, Chiguecky et Thu-An en ont Ă©galement parlĂ© Au bord du bassin.
« Dans la gĂ©nĂ©ration des premiers enfants dâimmigrĂ©s, je suis pas juste responsable de mon avenir, je suis responsable de sortir de la misĂšre tous les miens [âŠ]. Tu ne peux pas juste gagner le SMIC [âŠ]. Ăa met une pression quand mĂȘme supplĂ©mentaire dans ton choix dâorientation. Tu sais que tu nâes pas responsable que de toi, mais de toute ta famille. » Chiguecky â Au bord du bassin
« Mon grand frĂšre ne sâest pas posĂ© la question de sâil pouvait faire un truc quâil aimait. Il a juste fait ce quâil devait faire et il mâa aidĂ© Ă payer mes Ă©tudes [âŠ]. moi derriĂšre jâai pu me permettre un peu plus que lui de me poser la question « est-ce que jâaime ce que je fais ? Et si jâaime pas ce que je fais, est-ce quâil y a un moyen de faire un truc que jâaime ? » Thu-An â Au bord du bassin
đ Mais rĂ©ussir financiĂšrement est-il suffisant pour se tailler une place au sein du gratin natatoire ?
snack break đ
Ci-dessous un extrait de la plouf-letter sur le mĂ©rite oĂč nous avions fait appel Ă un ami nageur (sociologue) pour parler capitauxđ
le capital au multiples facettes
« Je suis devenu blanc quand j'ai revendu ma boßte à Bernard Arnault. Quand je sors de chez moi le matin les visages me renvoient « c'est un bougnoule » »
On lâoublie souvent, mais les sociologues ont identifiĂ© trois types de capital.
Le capital Ă©conomique qui repose essentiellement sur patrimoine financier (et donc le poste qui va avec puisquâon a tendance Ă associer un titre Ă une fiche de paie)
Le capital social, soit notre rĂ©seau. Celui-ci est Ă la fois hĂ©ritĂ© de notre famille et cultivĂ© via nos Ă©tudes ensuite â les Ă©coles de commerce jouent beaucoup lĂ -dessus
Le capital culturel, aka lâensemble des connaissances (savoir-faire, savoir-ĂȘtre) acquises par un individu â souvent sanctionnĂ©es par un diplĂŽme. Il englobe Ă©galement nos habitudes culturelles, dĂ©veloppĂ©es pendant notre enfance via lâĂ©ducation familiale
Câest lâaddition de ces trois capitaux qui constituent un individu et son statut « final » selon Bourdieu.
Lorsque lâon parle mĂ©rite et rĂ©ussite, on insiste gĂ©nĂ©ralement sur une des trois variables. Pour Radmane, câĂ©tait le capital Ă©conomique qui primait sur les deux autres dans un premier temps.
snack break off đ
đŠ tâas notĂ© le code du casier ?
En France il faut 6 générations pour passer d'un revenu faible à un revenu moyen, mais existe-t-il des statistiques similaires concernant le patrimoine socio-culturel ?3
« Parfois j'ai l'impression de devoir prouver que je sais bien m'exprimer. Je galÚre et je surperforme alors qu'en face la personne va caler un terme élaboré que je ne connais pas et je me dis « ha ouais ok je vais devoir apprendre à bien l'utiliser » et c'est reparti pour un tour. Mes collÚgues ont l'impression que je parle peu mais c'est juste que j'ai peur de commettre un impair »
Cette citation pĂȘchĂ©e en plein courant vient dâune discussion avec Victoire. Cette jeune cadre issue de la banlieue parisienne a gravi les Ă©chelons du podium grĂące Ă ses Ă©tudes. Mais, comme tu peux le lire, cette ascension due aux institutions rĂ©publicaines a occultĂ© certains aspects, crĂ©ant malgrĂ© tout un retard de chrono dans son dĂ©veloppement dâathlĂšte.
La rĂ©ussite, comme le changement (total) de statut est insidieux. Il sâobserve dans la maniĂšre dâenfiler sa combinaison, de sâexprimer, voire mĂȘme de plonger ; les mĂ©dailles ne suffisant pas Ă juger de la qualitĂ© dâun·e nageur·se. Cette complexitĂ©, certain·es lâont Ă©tudiĂ©e, voire anticipĂ© :
« Mes parents, leur investissement numĂ©ro un, c'est tout ce qui touchait Ă l'Ă©ducation [...]. Ils ont trouvĂ© les ressources pour nous inscrire au conservatoire mes sĆurs et moi. On est quatre dans la famille, mais pour eux c'Ă©tait tellement important qu'on ne soit pas au contact avec la rue qu'ils dĂ©ployaient vraiment tous les moyens pour qu'on ait une bonne Ă©ducation.
Je pense que l'apparence et le style entraient en jeu avec ça. Ma mĂšre avait compris que c'Ă©tait important qu'on prĂ©sente bien [âŠ].
Je me suis sentie hyper seule. Je venais d'un quartier trÚs populaire et j'ai toujours habité dans une cité. Pour moi c'était impossible d'aborder la question du lieu de vie, de mon lieu d'habitation. C'était un truc tabou, fallait pas que j'en parle.
Je me disais toujours "il ne faut que personne ne sache oĂč t'habites, ne dĂ©couvre d'oĂč tu viens. Ma couverture serait grillĂ©e » Lina
Dans ces propos, on comprend que craquer le code des Ă©lites devient presque un marathon Ă temps plein. Marathon au cours duquel lâaspirant·e adhĂ©rent·e au club se doit de superformer son rĂŽle sans cesse âŠau risque de se faire Ă©vincer du cercle.
đĄil est venu le temps de l'Ă©tymo
Ici on ne laisse personne sur le bord du bassin, et encore moins le moment Ă©tymo
Mérite tire ses racines du verbe mereo qui signifie « gagner, mériter ». Fun fact, le verbe possÚde une version passive, mereor.
Donc, à l'inverse du respect, le mérite ne se prend pas, il se demande/donne. Les actions d'un·e individu·e n'auront de valeur que celle que ses pairs voudront bien lui donner.
Dans son témoignage Lina a ainsi évoqué l'aspect essentiel que joue le regard extérieur sur l'intégration.
PoussĂ© Ă l'extrĂȘme, le droit de regard sur le mĂ©rite se matĂ©rialise dans le systĂšme de notation sociale. Cette organisation panoptique4 rend les Ă©volutions sociales dans la piscine d'autant plus difficiles d'accĂšs puisque chacun·e dĂ©fend sa position tuba et gants de plongĂ©e.
â montrer palme blanche
accepter l'entre-deux
Ătre transfuge de classe, c'est Ă©voluer entre deux eaux, sortir des lignes de nage connues pour â essayer â d'en intĂ©grer de nouvelles. Mais entrer dans le club fermĂ© des 20% dont je parlais prĂ©cedemment, encore faut-il cocher toutes les cases.
Parfois, comme le mentionne Chiguecky Au bord du bassin, la rencontre entre les deux mondes natatoires est vécu comme un choc. Elle commence par me parler de son expérience postbac, avant d'évoquer l'homogénéité oppressante de l'école de commerce
« La prĂ©pa c'est la premiĂšre fois qu'on me renvoyait Ă ma condition de banlieusarde [âŠ]. On m'a fait comprendre que c'Ă©tait une tare de venir de banlieue » « J'avais fait exprĂšs de pas passer des parisiennes et je pensais naĂŻvement qu'Ă Lyon il y aurait une mixitĂ© » Chiguecky
Thu-An quant Ă elle me rappelle qu'ĂȘtre issu·e « de la diversitĂ© » signifie aussi devoir se confronter Ă certains clichĂ©s dont tu n'avais pas conscience.
Tu passes ta vie dans un endroit et tu te dis "c'est normal" et t'arrives dans un milieu et on te renvoie Ă â ce truc de "ha parce que tu viens de banlieue". Moi on m'a dĂ©jĂ demandĂ© "t'es sĂ»re t'as assez d'argent pour sortir ?" alors que t'en sais rien » Thu-An â Au bord du bassin
Et, une fois les portes du nouveau club de nage passées, une certaine solitude peut émerger.
« Quand je dĂ©barque Ă un Ă©vĂšnement ou dans une soirĂ©e organisĂ©e par les gens que je connais j'aime bien faire cet exercice oĂč je regarde autour de la salle pour voir qui est diffĂ©rent. C'est assez drĂŽle parce qu'il y a plein de soirĂ©es oĂč [soupir] j'Ă©tais tout·e seul·e. Quand t'es deux je t'en parle mĂȘme pas » Lina
đ So what ?
Une fois le podium atteint, comment (re)dĂ©finit-on la rĂ©ussite ? Pour les nageur·ses du jour la rĂ©ponse est sans Ă©quivoque : par le partage. Lâobjectif ? Transmettre on expĂ©rience, partager des rĂ©cits inspirants, et outiller les prochaines gĂ©nĂ©rations de nageur·ses Ă Ă©voluer dans la piscine.
Bref, la jouer collectif pour (re)prendre le pouvoir sur sa trajectoire de nage.
Pour Maboula Soumahoro, professeure et Ă©crivaine, rĂ©ussir est une maniĂšre de visibiliser sa population. Pour elle, le simple fait de donner Ă voir aux jeunes espoirs du bassin que lâon peut ĂȘtre une femme noire professeure dâuniversitĂ© normalise un statut inaccessible Ă son Ă©poque.
Mais pour les autres, câest sâemparer de lâespace natatoire mĂ©diatique qui permet dâeffectuer cette passation.
« Je ressens un besoin de transmission. Moi ma rĂ©ussite personnelle elle est beaucoup plus tournĂ©e vers ça, construire une famille, que ce que je fais dans la vie et la stabilitĂ© [âŠ]. Ce qu'on fait avec origines c'est passer le mot mais ça va dans les deux sens pour transmettre nos histoires et nos expĂ©riences dans ce monde » Thu-An, Au bord du bassin
« Je me disais que quand je serai prĂȘte, « il faudra que j'en fasse un truc, de ce cheminement »» Lina
« Si on ne le fait pas, qui nous racontera ? » me lance Fred, « Aujourd'hui ce sont les mĂ©dias qui nous montrent, mais qui se reconnaĂźt dans ces images ? Plus jeune jâavais crĂ©Ă© un mĂ©dia pour raconter nos vies »
Et pour nous, nageur·ses allié·es, relayons ces rĂ©cits dâentraĂźnement, de victoire et dâavancĂ©es. Ouvrons nos lignes de nage Ă dâautres visions !
đ Quelques ressources avant de se quitter
đ Le dernier Ă©pisode de Ploufđââïž qui sâinterroge sur la diversitĂ© des parcours Ă©rigĂ©s comme modĂšles dans lâorientation. Pour lâoccasion, jây reçois Armand, Lifeguard Ćuvrant dans la piscine Tu feras quoi plus tard ? aprĂšs avoir exercĂ© dans celle Diversidays
đ Avec le travail de Jennifer Padjemi autour de la reprĂ©sentation. Vous pouvez la retrouver sur son podcast Miroir Miroir produit par Binge Audio ou lire son ouvrage FĂ©minismes et pop culture
đ En Ă©coutant le podcast Lâescalier de Lamia ou encore celui Started from the banlieue de Beaux parleurs. Tous les deux donnent la parole Ă des nageur·ses au parcours singulier pour inspirer celleux en quĂȘte de modĂšles plus divers
đ Comment parler diversitĂ© et histoires dâimmigration sans recommander la websĂ©rie et les articles Origines TV ? Avec leur mĂ©dia Chiguecky et Thu-An relaient les voix·es de nageur·ses dont elles partagent lâhistoire.
đ Avec le podcast Kiffe ta race de Grace Ly et Rokhaya Diallo produit par Binge Audio qui interroge la sociĂ©tĂ© sous le prisme racial
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
đ Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner
đ Tu ressens le besoin dâĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou mâenvoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins
đ Tu fais partie dâune structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets dâorientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email (hello@thewhy.xyz) si tu veux que lâon en discute ensemble
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
Tu peux aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/
Proverbe italien qui signifie « le·a traducteur·rice est un·e traßtre·sse »
Terme Ă©picĂšne dĂ©signant des personnes issues dâun mĂȘme lignage (source : Contrepoint - Adelphie par Pierre Grelley, Cairn, 2012)
Si tu as eu courant de telles statistiques envoie moi un mail parce que ça mâintĂ©resse grandement !