La Ploufletter est un espace crĂ©Ă© par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je tây apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă te connaĂźtre et construire une voie Ă ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. Le couloir de nage, câest la voie que lâon choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que lâon passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Plonger dans le carnet de jeu à lâeau pour lancer ton introspection,
DĂ©couvrir le programme introspectif de La piscine conçu pour tâaider Ă trouver ta voie·x,
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đ Avant le plongeon
« à reprise de nage prématurée, engelures assurées » Proverbe non inventé
Coucou toi, comment vas-tu ? Ăa fait longtemps quâon ne sâĂ©tait pas retrouvé·es pour une sĂ©ance de nage ensemble. Ăa mâavait manquĂ© !
JâespĂšre que ton retour Ă lâeau le mois dernier sâest bien passĂ©. Pour moi, câĂ©tait plutĂŽt new year lessivĂ©e me que cotillons et cĂ©lĂ©bration. Jâai fini 2021 les abdos en vrac (lâaquabike mâa tuer), et 2022 a commencĂ© en ventriglisse : la piscine a Ă©tĂ© acceptĂ©e pour rejoindre le centre dâentraĂźnement dâArty Farty (HĂŽtel71). Jâai donc repris le crawl pour quitter Paris, chercher un appartement Ă Lyon et relancer mon activitĂ© en freelance1, le tout sur fond de crĂ©ation de contenu. Un beau programme pour rĂ©veiller mes muscles engourdis par les eaux hivernales.
Mais trĂȘve de discussion et place Ă la natation ! Aujourdâhui, on parle notes. Ă lâorigine de cette rĂ©flexion se trouve le dernier Ă©pisode dâAu bord du bassin avec Jana. Au cours de celui-ci, lâon a beaucoup parlĂ© de notre relation Ă la notation. Depuis, je mâinterroge sur lâinfluence que peut avoir ce systĂšme sur nos maniĂšres de penser, de sâorienter et de travailler.
Fasten your bouĂ©e, weâre about to take off đââïž
đ On recrute des nouveaux nageur·ses. Tu veux rejoindre la team ? câest par ici đ
đ La boule et zĂ©ro
(Ok le jeu de mots Ă©tait nul)
Ă lâorigine, on ne notait pas. On sâappuyait sur un systĂšme de boules de couleur pour signifier au candidat sâil Ă©tait reçu ou non Ă lâexamen. Simple, basique. Mais alors, qui a eu cette « folle idĂ©e » de chronomĂ©trer nos performances ? Car pour une fois, « ce sacrĂ© Charlemagne » nây est pour rien.
« jâai des amis de haut rang (et bourré·es de talents) »
Câest aux jĂ©suites que lâon doit lâapproche compĂ©titive de lâenseignement. Ce collĂšge, crĂ©Ă© au XVIĂšme siĂšcle par le maĂźtre-nageur Ignace de Loyola2 « a pour objet de former une Ă©lite intellectuelle et religieuse, « des soldats de Dieu », fers de lance de la Contre-RĂ©forme3 ». DĂšs sa fondation, la pĂ©dagogie jĂ©suite diffĂšre avec celle de son Ă©poque. Outre le fait quâaucun chĂątiment corporel nây est autorisĂ©, ce club dâentraĂźnement est ouvert Ă tous4, indĂ©pendamment de lâorigine sociale des aspirants crawleurs. Lâobjectif est dâĂ©largir les rangs de leur Ă©quipe de natation pour mieux faire front face à « la menace protestante », lâaristocratie ne remplissant plus ce rĂŽle.
Pour encourager les Ă©lĂšves Ă se dĂ©passer, la compĂ©tition est omniprĂ©sente. Chaque classe est divisĂ©e en deux groupes rivaux â les Romains et les Carthaginois â sâopposant sur le terrain de guerre scolaire. Au cours de lâannĂ©e, les professeurs Ă©valuent le niveau de maĂźtrise de chacun dans diverses disciplines natatoires Ă lâaide dâun systĂšme de points. De leur addition dĂ©coule un classement. Lâenjeu y est double car, si lâopposition est avant tout collective, lâĂ©tablissement dâune hiĂ©rarchie interne pare Ă©galement la compĂ©tition dâun aspect personnel. Une fois la saison terminĂ©e, le classement â et la notation â dĂ©cide·nt des de lâĂ©volution (ou non) Ă la catĂ©gorie supĂ©rieure.
Il faudra attendre le XVIIIĂšme siĂšcle, et le vĂ©tĂ©ran nageur Gaspard Monge pour que le procĂ©dĂ© dâĂ©valuation sâaffine. Celui-ci utilise un systĂšme lettrĂ© (de a Ă g) pour Ă©valuer les compĂ©tences des candidats au concours dâofficiers de la marine5.  Ceci lui servira ensuite de modĂšle pour Ă©laborer le barĂšme sur 20 adoptĂ© dans son Ă©cole â Polytechnique. Câest Ferry qui dĂ©mocratisera cet instrument de mesure avec les lois de 18806.Â
«bien sĂ»r que je le vaux bien »Â
Cette conception initiale de lâĂ©valuation illustre bien notre conditionnement Ă :
vivre dans un climat de compétition constante (diviser pour mieux régner tsé)
conditionner notre valeur personnelle Ă notre performance
devoir constamment travailler Ă prouver cette valeur temporellement limitĂ©e (au trimestre / Ă lâannĂ©e / etc.)
In fine, la note est un moyen de se faire reconnaĂźtre par ses co-nageur·ses en tant que personne de valeur. Cette distinction est dâailleurs trĂšs polarisĂ©e puisquâon peut se diffĂ©rencier en tant que « nageur·se dâexcellence » ou, Ă lâinverse, en devenant un·e « cancre » dont les piĂštres performances plombent lâĂ©quipe.Â
đŠ « tu es arrivé·e combien toi ? »
avoir un bon chrono, ça sâentretient
Je me souviens dâune fin dâentraĂźnement oĂč un·e maĂźtres·se-nageur·se nous avait dit « câĂ©tait super, mais je nâai mis aucun 20. Vous comprenez : rien nâest jamais parfait »
Cette anecdote remonte Ă lâĂ©cole primaire. MĂȘme si, depuis, personne nâa verbalisĂ© de nouveau une telle approche de la notation, je trouve quâelle illustre Ă merveille son esprit. On lie dĂšs notre jeunesse valeur et rĂ©sultats, tout en sachant que la note maximale est hors dâatteinte, quelque soit notre implication. Comme si cette asymptote avait pour vocation de nous encourager Ă toujours donner plus en entraĂźnement, quitte Ă nous Ă©puiser. Câest peut-ĂȘtre Ă cause de cette carence que, plus tard, lorsquâon sâinterroge sur notre choix de discipline, on se dit que, dans un premier temps, on va aller aussi loin que possible. Pour « faire ses preuves » puisque notre valeur sociale et personnelle sâobtient du regard que portent nos co-nageur·ses sur notre trajectoire7.
Dans lâĂ©dition sur le mĂ©rite, jâavais dâailleurs parlĂ© du biais dâengagement qui pouvait dĂ©couler du fait dâĂȘtre bon·ne Ă©lĂšve, nous emmenant Ă barboter dans une ligne de nage qui ne nous correspond pas vraiment (cf. lâĂ©pisode PaumĂ©es now we here oĂč Marine raconte comment elle sâest retrouvĂ©e « Ă signer pour un prĂȘt Ă©tudiant comme si jâachetais une baguette de pain Ă la boulangerie »).
lâĂ©chec comme distinction
Et, comment ne pas avoir peur de la mauvaise note puisquâon lâassocie, dĂšs lâĂ©cole, Ă la sanction ? Que lâon parle heures de colle, entraĂźnements supplĂ©mentaires, redoublement ou simple Ă©viction du club, ĂȘtre « mauvais·se » nous coule. Et je parle uniquement des rĂ©percussions dans le cadre scolaire puisque chaque famille possĂšde sa propre relation au chrono et Ă la rĂ©ussite.Â
La quĂȘte de la note moyenne â permettant de rester dans le peloton de nage â semble donc ĂȘtre avant tout un confort social plus quâune volontĂ© personnelle. De mĂȘme lorsquâon intĂšgre une Ă©quipe de nage professionnelle. Dans une vidĂ©o de France TV Slash sur le fait de ne pas possĂ©der de diplĂŽme, une des invitĂ©es Ă©voque le moment oĂč, Ă 15 ans elle est entrĂ©e en dissonance avec le systĂšme scolaire car elle souhaitait sâorienter vers un club Ă la rĂ©putation « infĂ©rieure » Ă ceux auquel elle aurait pu prĂ©tendre grĂące Ă ses rĂ©sultats. Comme si, ne pas avoir « lâambition de son chrono » Ă©tait trahir sa condition â et Ă©quivalait Ă chercher la sanction, voire, le dĂ©classement.
Ă lâinverse, deux autres tĂ©moignant·es exprime leur mal-ĂȘtre engendrĂ© par le fait de ne pas rĂ©ussir Ă se conformer, sanctionnant leur appartenance Ă la norme đ
« Je me sentais mal de ne pas avoir réussi à obtenir quelque chose que tout le monde semblait avoir facilement [le bac] »
« On mâa donnĂ© le trophĂ©e du plus mauvais Ă©lĂšve de la classe. Je lâai pris mais autant vous dire que je ne lâai pas brandi. Je lâai tout de suite mis sous mon bras et je suis vite parti »
Sur Plouf đââïž aussi natation et notation sâentremĂȘlent. Julie fait partie de celleux qui ne rentraient pas dans le moule scolaire et ont rapidement dĂ» se poser des questions sur leur trajectoire. Dâabord parce que son chronos coulaient, mais aussi â et surtout â parce quâautour, on lui faisait comprendre quâune sortie de bassin Ă©tait sĂ©rieusement Ă envisager, faute de conformitĂ©.
« Je me faisais dĂ©chirer Ă lâĂ©cole. Quand on te dit que tâes nulle pendant toute ta scolaritĂ©, tu ne penses pas Ă un schĂ©ma de rĂ©ussite aux petits oignons » Julie Au bord du bassin
Ce procĂ©dĂ© de mise Ă lâĂ©cart â dans une filiĂšre considĂ©rĂ©e comme moins prestigieuse ou rapidement professionnalisante au lycĂ©e â se retrouve ensuite dans lâenseignement supĂ©rieur. Sur le moment, lâĂ©chec est cuisant. Mais, sortir la tĂȘte du long fleuve tranquille et des bonnes notes nâaurait-il pas du bon ? Car, ne pas appartenir Ă un systĂšme â ici de notation â permet dâouvrir ses horizons de nage et dâaccroĂźtre sa libertĂ© puisquâune fois le dĂ©classement effectuĂ©, on ne craint plus rien.Â
Ătre forcé·e Ă stopper sa progression quasi mĂ©canique pour se recentrer sur ses aspirations personnelles, est-une opportunitĂ© ? (vous avez 6 heures)
đ Note (lol) : Quelles que soient les rĂ©ticences quâon puisse avoir face Ă cette logique dâĂ©valuation et de classement, ce systĂšme nous lie. Il nous inscrit â dâune certaine maniĂšre â dans une (micro)sociĂ©tĂ©. Ne pas avoir « le droit » Ă sa note, câest se voir nier son appartenance au club. Je me souviens quâen prĂ©pa, un·e de mes prof prĂ©fĂ©rait ne pas donner de note en colle plutĂŽt que dâen produire une qui pouvait nous faire couler. Le latin mâapprĂ©ciant autant que la nage papillon (aka pas du tout), je faisais partie de celleux8 qui nâont jamais rĂ©ussi Ă dĂ©crocher une apprĂ©ciation chiffrĂ©e. Mon seul objectif Ă©tait alors dâobtenir un chrono suffisamment bon pour quâil soit pris en compte, et (rĂ©)intĂ©grer lâĂ©quipe, quâimporte sâil Ă©tait le plus faible du groupe.Â
Cette ambivalence du rapport Ă lâĂ©valuation mâintrigue. Câest comme si lâon oscillait constamment entre le besoin irrĂ©pressible de se situer sur une Ă©chelle sociale et celui de sâen Ă©manciper â rendant cette derniĂšre quasi impossible.
đŠ comment tâas fait pour aller aussi vite ?
comment sâattribue la bonne note ?
« 4 câest une mauvaise note. On a lâimpression que câest bien, mais câest mauvais sur Uber. Quand un client me dit âça sâest trĂšs bien passĂ©, je vous mets 4â, je lui explique la situation et ça les Ă©tonne. On est suspendu Ă 4,5, moi jâai 4,51, sâil mâarrive quelque chose, je saute [âŠ]. Donc, les jours oĂč je ne vais pas bien je ne me connecte pas ou je passe par dâautres applications, jâai trop peur » Nabil, chauffeur Uber au micro de France Inter sur la notation
La bonne note, câest la rencontre dâun·e nageur·se et dâune grille de critĂšre prĂ©-dĂ©finis (comme ici, les critĂšres dâĂ©valuation des plongeons sont prĂ©-dĂ©finis).
Cependant, il est difficile de vĂ©ritablement faire Ă©tat desdits critĂšres. La duretĂ© de la notation varie en fonction de la personne Ă©valuatrice, des pratiques du club de nage, etc. La pertinence de ce fonctionnement est dâailleurs souvent remise en question pour les examens et diplĂŽmes nationaux comme le bac de sport. Noter Ă la performance du D-Day fait dĂ©bat, tout comme la notion de contrĂŽle continu puisquâon ne note pas de la mĂȘme maniĂšre dâun Ă©tablissement Ă lâautre, voire mĂȘme, dâune. catĂ©gorie Ă lâautre. De plus, au moment de passer les sĂ©lections pour intĂ©grer les clubs de perfectionnement, il arrive que les notes soient pondĂ©rĂ©es selon divers critĂšres. Un 15 dâun lycĂ©e sĂ©lectif pourrait ainsi Ă©quivaloir Ă un 18 ailleurs. Il en va de mĂȘme en prĂ©pa oĂč, selon le centre dâentraĂźnement, on sait que notre performance au concours sera meilleure que pendant lâannĂ©e.
winner un jour, winner toujours ?
Et, si noter est un moyen de classer, chacun·e peut un jour se retrouver dernier·e du pool ultra sĂ©lectif quâiel a intĂ©grĂ©. Sâappuyer sur son chrono comme seule mesure de sa valeur peut donc ĂȘtre trompeur puisquâil repose sur un contexte prĂ©cis (et est donc relatif).
Alors, pourquoi noter a-t-il envahi notre quotidien ? Comment sâen libĂ©rer ?
đ snack break, community : notes partout, libertĂ© nulle part
Jâadore la sĂ©rie Community, et ça tombe bien parce que le thĂšme de la notation sociale y avait Ă©tĂ© explorĂ©. Dans lâĂ©pisode, il est question dâune application appelĂ©e MeowMeowBeenz permettant aux gens de sâĂ©valuer mutuellement sur un barĂšme allant de 1 Ă 5. Les critĂšres vont de lâapparente bienveillance dâun·e nageur·se envers ses pairs Ă son taux de participation en cours. Plus la note est Ă©levĂ©e, plus la personne accĂšde Ă de nouveaux privilĂšges et inversement. Comme dans toute sociĂ©tĂ© pyramidale, atteindre le sommet du podium est difficile. Et mĂȘme ceci fait, tout reste Ă prouver pour conserver sa place car chaque faux pas peut ĂȘtre sanctionnĂ© par une mauvaise note â et un dĂ©classement.
Pourtant, on remarque que chacun·e se plie Ă lâexercice. Qui par besoin de se sentir appartenir au groupe, qui par esprit de compĂ©tition, qui par envie de savoir comment les autres jugent leur maniĂšre de nager â peu importe la subjectivitĂ© de lâavis donnĂ©âŠ
« MĂȘme si cette forme dâĂ©valuation a des effets pervers et quâon sâen plaint, malheureusement on la rĂ©clame parce quâon attend dâelle des choses quâelle ne peut pas nous apporter. On attend des formes de rĂ©vĂ©lation sur soi. Savoir ce quâon vaut, qui on est. On imagine que ça va nous apporter une forme de connaissance de soi qui est fausse, dangereuse [âŠ]. On est prĂȘt·e Ă ĂȘtre Ă©valué·e si les autres le sont aussi » BĂ©nĂ©dicte Vidaillet au micro de France Inter sur la notation
Le plus curieux dans lâĂ©pisode Ă©tant que, mĂȘme si le systĂšme social proposĂ© par lâapplication pĂšse fortement sur les nageur·ses de lâĂ©quipe de Greendale, personne ne pense pour autant Ă la supprimer pour sâen Ă©manciper. Une mĂ©taphore â sĂ»rement â de nos propres contradictions dans le domaine.
snack break off đ
đŠ LâĂ©valuation comme norme
la panoptique : lâenfer câest les autres
Dans son livre Surveiller et punir Foucault sâintĂ©resse Ă un modĂšle dâincarcĂ©ration appelĂ© « le panopticon ». Cette prison est rĂ©alisĂ©e de telle sorte que toutes les cellules sont disposĂ©es en cercle autour dâune tour rassemblant le personnel de surveillance. Chaque cellule est ouverte sur la tour, mais celle-ci est recouverte de maniĂšre Ă dissimuler si les prĂ©venu·es sont observé·es. Le caractĂšre alĂ©atoire de la surveillance rendait les prisonnier·es irrĂ©prochable, de peur de se savoir Ă©pié·e au mauvais moment.
Mais quel rapport avec la natation ? Ă premiĂšre vue, pas grand chose. Pourtant, la digitalisation du travail a permis lâĂ©mergence de nouveaux modes de surveillance⊠et dâĂ©valuation.
plouf, on sâĂ©value ?
En entreprise  tout est sujet Ă ĂȘtre notĂ©. Son humeur quotidienne, sa motivation, ses managers, ses collĂšgues, son temps dâentraĂźnement hebdomadaire, et jâen passe. LâĂ©valuation est Ă un clic et le geste en devient quasi-automatique. On vit au rythme des trimestres, semestres voire annĂ©es selon le fonctionnement du club que lâon a intĂ©grĂ© et des entretiens annuels oĂč on fait le bilan sur son parcours de nage. Encore une fois, la bonne note rĂšgne en maĂźtresse au risque de se voir refuser une promotion (« redoubler ») ou mĂȘme remercié·e. La logique scolaire reste donc bien prĂ©sente dans nos vies professionnelles, et, dâune certaine maniĂšre, nous rassure puisquâelle nous permet de nous voir Ă©voluer dans la piscine. Pour rĂ©ussir, on adopte le comportement de celleux qui semblent passer les niveaux sans difficultĂ© comme sâil nây avait quâun seul schĂ©ma nous permettant dâaccĂ©der Ă la rĂ©ussite.
Ce qui suit est une bribe de conversation captĂ©e au vol dâun verre pris en sortie dâentraĂźnement avec deux de mes swimming buddies nageant dans le mĂȘme bassin de lâaudit. Au dĂ©tour de la discussion sur leur charge de travail, prĂ©sence (ou non) au bureau et les horaires, celleux-ci se sont exclamé·es quasi de concert :
« Tout est pris en compte dans ta note. Tu dois faire attention à tout.
â Par exemple, si tu finis plus tĂŽt â Ă 19h â, tu dois demander autour de toi « Quelquâun a besoin dâaide ? » avant de partir. Câest une convention non Ă©crite, mais si tu ne le fais pas, ça peut influencer ta notation sur la partie « esprit dâĂ©quipe ». En gĂ©nĂ©ral personne ne te retient, mais il faut demander. Câest limite de la politesse Ă ce stade.
â Oui, et câest pareil pour le partage des tĂąches. Je ne me vois pas finir plus tĂŽt ou en refuser certaines parce que je sais que dans ce cas, quelquâun dâautre le fera Ă ma place et terminera tard par ma faute. Et, encore une fois, ça a un impact sur ta note finale qui dĂ©termine ton Ă©volution dans lâentrepriseÂ
Dâune certaine maniĂšre, on joue sur notre besoin de reconnaissance tant en termes dâeffort, de travail et/ou dâimpact sur le dĂ©veloppement de notre club. Mais cette reconnaissance â signifiĂ©e par la note â est conditionnelle et temporaire, nous enfermant dans cette mĂȘme spirale de justification constante de son statut de bon·ne Ă©lĂšve dont je parlais plus tĂŽt, risquant â entre autre â le surentraĂźnement.
La note serait alors le moyen ultime de discipliner les nageur·ses, dâĂ©viter les vagues dans la piscine et assurer la pĂ©rennitĂ© dâun modĂšle â pourtant bancale.
đ So what ?
Tu lâas compris, le problĂšme dans tout ça nâest pas la note en tant que telle, mais plutĂŽt la prĂ©gnance de celle-ci que lâon considĂšre bien souvent comme unique critĂšre de dĂ©finition de notre valeur.
Dans lâĂ©pisode dâĂmotions autour de la confiance en soi avec Navo, la journaliste explore la notion de « locus de contrĂŽle ». Celui-ci rĂ©git la maniĂšre dont on se dĂ©finit. Le locus de contrĂŽle interne signifie que le·a nageur·se dĂ©finit sa trajectoire en fonction de ses envies et besoins personnels. En revanche, le locus de contrĂŽle externe sous-entend que lâon (se) dĂ©finit en fonction du regard que portent les autres sur notre style de nage. Pour moi, lâapprentissage Ă se plier au jugement dâautrui depuis la pataugeoire nous encourage Ă dĂ©velopper ce locus de contrĂŽle externe au dĂ©triment de notre Ă©panouissement personnel. Comme le dit si bien Jana en podcast, le dĂ©fi est dâarriver Ă nous dissocier de nos notes et/ou de notre travail.
et si, pour se faire, on sâinspirait dâautres systĂšmes ?
Lors de mon Ă©change aux Ătats-Unis je me souviens de ce cours de maths (que jâai dĂ©jĂ Ă©voquĂ© ici parce que câĂ©tait la seule annĂ©e oĂč jâai compris que ma dyscalculie Ă©tait seulement due Ă un manquement pĂ©dagogique et non â uniquement Ă mon manque dâesprit logique criant) oĂč le prof sâamusait Ă nous donner des rĂ©sultats comme exercice. Notre mission Ă©tait de remonter le cours de lâeau pour trouver lâĂ©quation dâorigine â ou, Ă dĂ©faut, de sâen rapprocher le plus possible. Tu tâen doutes, personne nây arrivait, mais cela importait peu. La notation Ă©tait faite Ă lâeffort, au raisonnement et Ă la participation.
Une belle maniĂšre de valoriser le processus sur le rĂ©sultat et dâencourager chacun·e Ă sâĂ©lancer pour tester les eaux. Dans ce cas, câest lâaction qui dĂ©finit lâindividu et non (uniquement) ce quâil en ressort. De quoi se construire diffĂ©remment et de sâautoriser plus facilement Ă sortir des lignes de nage les plus arpentĂ©es pour sâaventurer en eaux libres en grandissant.Â
En attendant, pour Ă©couter Jana, câest par ici đ
đ Quelques ressources avant de se quitter
(Ok cette fois yâen a beaucoup)
đ LâĂ©cole française et lâinvention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines par Pierre Merle (ou bien son cours au CollĂšge de France sur la notation)
đ LâĂ©cole abuse-t-elle des notes ?, Ămission Rue des Ă©coles par Louise Tourret sur France CultureÂ
đ Six sans diplĂŽme VS. clichĂ©s, lâĂ©mission Ătiquette de France TV Slash oĂč les invité·es parlent de leur conception des notes, de la (difficile) acquisition de confiance en soi en marge du systĂšme scolaire plĂ©biscitĂ© et leur Ă©volution personnelle
đ Les Ă©lĂšves ont-ils besoin dâĂȘtre notĂ©s ?, Ămission Du Grain Ă moudre par HervĂ© Gardette sur France Culture
đ Pourquoi sâest-on mis Ă tout noter ?, Ămission Le code a changĂ© de Xavier de la Porte sur France Inter
đ Le programme La Culbute pour explorer ta relation au changement by Our Millennials Today
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
đ Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner
đ Tu ressens le besoin dâĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou mâenvoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins
đ Tu fais partie dâune structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets dâorientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email (hello@thewhy.xyz) si tu veux que lâon en discute ensemble
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
Tu peux aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/
Source : LâĂ©cole française et lâinvention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p78, Pierre Merle, 2015
Soit, les protestant·es. Source : LâĂ©cole française et lâinvention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p78, Pierre Merle, 2015
Ă lâĂ©poque, seuls les jeunes aristocrates avaient accĂšs Ă une Ă©ducation scolaire, lâouverture Ă un public diffĂ©rent Ă©tait une avancĂ©e de tailleÂ
Un numerus clausus est mis en place pour ne recruter que le nombre nĂ©cessaire dâofficiers. Source : LâĂ©cole française et lâinvention de la note. Un Ă©clairage historique sur les polĂ©miques contemporaines, p82, Pierre Merle, 2015
Dans les faits on ne commencera Ă utiliser la notation sur 20 en Ă©cole quâĂ partir de 1890
« Que donne lâĂ©valuation ? Non pas des places mais des positions relatives, incertaines oĂč tout se rejoue Ă chaque Ă©preuve. Plus on est Ă©valuĂ©, plus on est dans lâincertitude, moins on est rassurĂ© quant Ă la position que lâon nous attribue de maniĂšre Ă©phĂ©mĂšre. Il sâagit donc dâun cercle vicieuxâŠÂ » BĂ©nĂ©dicte Vidaillet au micro de France Inter sur la notation
Ă date je me demande si je nâĂ©tais pas la seule dans ce cas