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Ralentir ou couler

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Ralentir ou couler

Prendre le temps de construire son parcours de vie

Apolline 🐋
6 août 2023
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Ralentir ou couler

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Avec cette Ă©dition, je te propose de plonger ensemble dans les thĂ©matiques de lenteur dans un parcours pro / perso. On explorera tour Ă  tour notre conception sociale de la productivitĂ©, l’(in)Ă©galitĂ© face au ralentissement et les outils permettant de modĂ©rer son rythme.


La Ploufletter est un espace créé par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je t’y apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă  te connaĂźtre et construire une voie Ă  ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue 🎣

Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, c’est le monde – du travail le plus souvent. Le couloir de nage, c’est la voie que l’on choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que l’on passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !

Tu peux aussi :

  • Plonger dans le carnet de jeu À l’eau pour lancer ton introspection,

  • Profiter de l'Ă©tĂ© pour faire le point avec le programme introspectif made in La piscine conçu pour guider tes rĂ©flexions,

  • T’abonner Ă  la Ploufletter si on t’a transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đŸ‘‡đŸŸ

Sur ce, bonne sĂ©ance 🐋


🐟 Avant le plongeon

Coucou toi ! J’espĂšre que tu vas bien et que ton planning estival est aussi (peu) chargĂ© que ton mojito

1
. À l’heure oĂč tu me lis, je suis certainement en pleine marche sur un sentier cĂŽtier, Ă  dĂ©faut de pouvoir sortir en eaux libres. Bref, je ralentis. (Ça tombe bien, c’est le sujet du jour.)

Mais avant, quelques actus natatoires đŸ‘‡đŸŸ

  1. En juillet, La piscine est devenue une association, ce qui veut dire que je peux dĂ©sormais accueillir des lifeguards bĂ©nĂ©voles ! Alors si tu veux : crĂ©er du contenu autour de la quĂȘte de sens (article ou podcast) et/ou organiser des meetups t’intĂ©resse, envoie moi un email.

  2. En parallĂšle de cette aventure associative, la ligne Ă©dito Ă©volue quelque peu pour se recentrer sur des sujets plus en lien avec l’équitĂ© et la durabilitĂ©. Il se peut d’ailleurs que le logo de La piscine fasse peau neuve pour accompagner ce changement 👀 Tu peux suivre les dessous de cette mue sur Linkedin si le cƓur t’en dit.

  3. Je vous prépare une édition croisée en septembre avec Alvina du média Culs-de-poule. Les maßtres mots seront : égalité, prendre sa place dans un milieu peu diversifié, et survivre dans des environnements de travail difficiles. Pour préparer notre session brainstorm de rentrée, dis moi si tu te poses des questions sur ces sujets en répondant à cet email.

Et maintenant, place Ă  la lenteur !

Fasten your bouĂ©e, we’re about to take offđŸŠâ€â™€ïž


đŸ€ż pĂ©diluve

cette plouf-letter est-elle faite pour toi ?

đŸ€šPour faire cet exercice, il te faudra lever sept doigts. You’re good to read. À chaque affirmation dans laquelle tu te reconnais, abaisse un doigt.

  1. Tu compares la vitesse à laquelle tes proches trouvent / ont trouvé leur voie à la tienne.

  2. Tu te demandes si l'avenir se joue sur cette phrase : Ralentir ou périr.

  3. Tu te demandes si la fast life est faite pour toi
.

  4. 
. Et comment la combiner avec tes engagements anti-capitaloproductivistes.

  5. Tu te demandes comment ralentir dans un monde oĂč tout se joue au chrono.

  6. Tu aimerais comprendre comment rĂ©ussite et lenteur peuvent s’accorder.

  7. Tu cherches un comparatif des meilleures bouées pour éviter de sombrer dans un maelström de remise en question pré-rentrée.

Si tu as répondu « oui » à au moins deux questions, ajuste ton masque de plongée, cette édition va te parler !


🐠 pourquoi parler de lenteur ?

Un jour, en pleine session question-rĂ©ponse Ă  la fin d’une colle de philosophie en prĂ©pa, ma prof me lance : « En fait, vous ĂȘtes lente ».

Son ton Ă©tait joyeux. Normal, elle venait de craquer mon code source. Moi, j’étais abattue. À l’époque, j’assimilais la lenteur Ă  une forme d’handicap lestĂ© ou de faiblesse dans la piscine de la vie. Et ce d’autant plus dans un environnement compĂ©titif comme la prĂ©pa.

Pendant l’échange, ma prof m’a Ă©clairĂ©e sur son point de vue. Pour elle, ĂȘtre au fait de ce fonctionnement plus diesel que Ferrari relevait d’un bel avantage. Au sens oĂč, connaĂźtre son mode opĂ©ratoire permet la crĂ©ation d’une organisation adaptĂ©e Ă  celui-ci – et donc plus efficace. Encore confuse, j’ai archivĂ© cette information sans plus y penser.

Depuis, je constate que la quĂȘte de vitesse est omniprĂ©sente dans notre sociĂ©tĂ©. RapiditĂ© dans les Ă©volutions technologiques, nos rythmes de vie, nos modes de consommation
. ou l’orientation. Tout y passe. Pourtant, cette image d’Épinal semble aller Ă  rebours de la construction de nos parcours de nage Ă  l’allure si saccadĂ©e. L’incertitude que l’on ressent, les zigzags que l’on effectue dans nos trajectoires tout comme l’exploration de lignes de nage alternatives sont tout autant de maniĂšres de questionner la rapiditĂ©.

D’oĂč cette envie de creuser ensemble le sujet de la lenteur.

La ligne de flotteurs qui guide l’édition est le tĂ©moignage de Mya Berger, Bruxelloise de 25 ans, qui travaille dans le domaine crĂ©artistique

2
. Aujourd’hui Mya est responsable marketing pour le magazine Different Class. Lorsque nous nous sommes rencontrĂ©es Ă  l’occasion de Nuits Sonores en 2022, elle travaillait pour Are We Europe . Nous avions connectĂ© sur moult sujets touchant Ă  la paumitude, l’art et l’engagement. Je suis donc super heureuse d’avoir pu Ă©changer avec Mya autour de son rĂȘve de curation, de comparaison, maturation et injonction Ă  la vitesse. Merci encore Ă  toi !

â˜đŸŸÂ Dans cette Ploufletter, j’évoque souvent la notion de pause. Prends le ici comme la forme ultime du ralentissement mais pas besoin de faire un arrĂȘt (brutal) pour ressentir les bienfaits du slow.

→ Au programme du jour đŸ‘‡đŸŸ

  1. Les temps modernes : la vitesse comme norme

  2. À la recherche du temps perdu : Ralentir, ce privilùge

  3. Pourquoi prendre le temps ?

  4. Le temps retrouvé : le kit ralentissement

Je te laisse avec Mya et toutes les rĂ©flexions que cela m’a inspirĂ©, see you en fin d’édition.

Apolline 🐋


🩑 les temps modernes - la vitesse comme norme

Avant de parler lenteur avec Mya, nous nous sommes d’abord concentrĂ©es sur la question de la rapiditĂ© Ă  laquelle nos vies dĂ©filaient aujourd’hui.

le courant s’accĂ©lĂšre

La mesure du temps s’est graduellement transformĂ©e au fil des Ăąges. À l’antiquitĂ© grecque, le temps s’écoulait – littĂ©ralement – d’un rĂ©cipient d’eau pour rĂ©partir la parole de maniĂšre Ă©galitaire. En parallĂšle, les romains utilisent le cadran solaire pour segmenter et mesurer leurs journĂ©es, toujours de maniĂšre approximative.

C’est avec le capitalisme et l’ñge moderne que la mesure temporelle s'est progressivement affinĂ©e. D’abord avec l’apparition des horloges Ă  cadran pour arriver aux montres numĂ©riques actuelles oĂč chaque seconde compte dans le cycle de production.

Aujourd’hui le temps est devenu une denrĂ©e si rare qu’il se mesure :

  • au mois, avec comme base les 35h,

  • Ă  la journĂ©e pour les freelances,

  • voire mĂȘme Ă  (la demi) l’heure pour les personnalitĂ©s les plus controversĂ©es.

D’ailleurs, de plus en plus de crĂ©ateur·rices Ă©voquent le concept de rat race – qui Ă©voque un hamster pris au piĂšge dans sa roue – comme un cercle vicieux dont il faudrait s’extraire Ă  tout prix.

la course au chrono - t’as mis combien de temps Ă  « y arriver » ?

Sur le papier, rien ne vaut la vitesse. Un parcours prestigieux, c’est celui oĂč tout s’enchaĂźne avec fluiditĂ©. Sans pause. Sans accroc. Sans redoublement.

Cette mise en avant des parcours rapides unique modĂšle de rĂ©ussite peut donc rend la comparaison rude – et inĂ©gale. D’autant plus si l’on Ă©volue, comme Mya, dans un environnement artistique.

« Comme je suis bien connectĂ©e aux artistes et curateurs qui rĂ©ussissent dans mon milieu – souvent parce qu’ils ont de bonnes connections ou beaucoup de talent – , j’ai l’impression d’ĂȘtre en retard, que les choses vont pas assez vite, mĂȘme si c’est exactement ce que je recherche).

J’oublie que la plupart des gens qui vivent vraiment de leur pratiques artistiques ont au moins 30 ans et j’en ai 25. Et ça me stresse de ne pas avoir de voix ou de projet qui soit Ă  moi et de bosser dans un bureau et de travailler de 9h Ă  17h comme tout le monde. » Mya pour La piscine

Dans son livre AliĂ©nation et AccĂ©lĂ©ration, Harmut Rosa parle de l’effet aliĂ©nant que peut avoir l’injonction Ă  la vitesse sur notre rapport au monde. D’abord parce que penser des « projets de vie » au long court devient sacrĂ©ment difficile dans un environnement oĂč tout nous pousse Ă  accĂ©lĂ©rer le rythme en permanence – comment planifier dans ces conditions ? Mais aussi parce que prendre le temps revient Ă  laisser sa place.

D’ailleurs, dans un contexte d’accĂ©lĂ©ration intense et continue, les relations interpersonnelles Ă©voluent Ă  la Squid game : tes voisin·es deviennent tes concurrent·es. Et dans notre imaginaire professionnel, faire moins Ă©quivaut Ă  rĂ©gresser ou laisser sa place dans cette course au mĂ©rite. Ainsi, de nombreuses entreprises ayant recours au systĂšme de vacances illimitĂ©es se sont rendues compte que les employé·es prenaient moins de congĂ©s que lorsqu’iels avaient un temps imposĂ©. En cause ? Le rythme de travail intense et la culture productiviste oĂč s’arrĂȘter est mal perçu.

Alors puisqu’il faut progresser pour gagner cette course, identifier puis exploiter son potentiel devient un devoir pour quiconque souhaite rĂ©ussir. Et s’y refuser est vu comme une tare.

« Cette idée de potentiel me frustre un peu.

Comme si, avec tout ce qu’on m’a donnĂ© j’ai la recette du bonheur et de l’accomplissement de soi. Comme j’ai l’air mature, rĂ©flĂ©chie et sage, il faut que je sache tout mais j’ai toujours eu l’impression d’avancer Ă  tĂątons.

Tout le monde me disait qu’ils ne se faisaient pas de soucis pour moi. J’ai jamais compris pourquoi moi j’ai toujours eu peur en vrai » Mya pour La piscine

C’est Ă  rebours de cette tendance productiviste que Mya a dĂ©cidĂ© de ralentir, de prendre le temps de stabiliser sa vie professionnelle pour prendre le temps d’explorer la piscine de la vie. Si cette dĂ©cision la libĂšre (beaucoup) de charge mentale de son cĂŽtĂ©, son entourage ne le voit pas du mĂȘme Ɠil :

« Tout le monde autour de moi me disait que j’allais ‘rĂ©ussir’ comme j’avais toujours un truc intĂ©ressant sous la main. Maintenant je sens un peu le jugement des gens.

Je fais un taf bien, je suis indépendante.

Mais c’est pas un truc “noble” dans les gens du milieu dans lequel j’avais Ă©voluĂ©. C’est corporate, c’est un peu banal/tout les jours de bosser 9-5 sur un ordinateur. Alors que c’est crĂ©atif, et que le plus important c’est que ça me donne de la libertĂ© et de l’assurance et le choix d’ĂȘtre plus lĂ©gĂšre et de pas essayer de me forcer la tĂȘte sur des projets complexes pendant que j’essaie de comprendre qui je suis. » Mya pour La piscine

Comment ĂȘtre surpris·e face Ă  cette rĂ©action puisque dans notre imaginaire professionnel, faire plus est toujours valorisĂ©. Ralentir ou s’arrĂȘter Ă©quivalant Ă  une forme de rĂ©gresser ou d’abandon dans cette course au mĂ©rite.

les coûts cachés de la vitesse

Aller vite a certes ses avantages, mais quel est le prix Ă  payer pour rester dans la course ?

Étymologiquement, la rapiditĂ© est assimilĂ©e Ă  la violence et la destruction

3
, comme un tsunami balaye tout sur son passage. Penser la vitesse, c’est penser la superficialitĂ© – et confort.

1. les vases communicants

La théorie du ruissellement est encore (?) cassée.

Aller vite, c’est laisser de cĂŽtĂ© certains aspects de la vie qui se dĂ©veloppent sur le temps long. C’est aussi l’impression que m’a partagĂ© Mya qui a longtemps favorisĂ© son rĂȘve de curation Ă  sa vie perso.

« Je fais tout trĂšs vite. J’ai eu mon master Ă  21 ans, j’ai Ă©crit une publication Ă  22 pour un musĂ©e, je courais de partout en faisant semblant d’ĂȘtre Ă  la cool.

Ça m’a pas donnĂ© le temps de grandir. » Mya pour La piscine

2. « c’est pas moi qui prend une pause, c’est la pause qui me prend » B2H2o

Dans cette Ă©conomie qui prĂŽne la SURproduction autant que la SURconsommation, difficile de faire l’impasse sur la productivitĂ© ou le « toujours plus ». C'est justement lĂ  que le bĂąt blesse.

Ici, la pause devient un joker. Une bande d’arrĂȘt d’urgence sur laquelle on se gare aprĂšs avoir trop fait chauffĂ© la machine. Autrement dit, c’est un rĂ©flexe de survie. La Youtubeuse LĂ©na Situations, connue pour son adage « PLUS = PLUS » en a elle-mĂȘme payĂ© les frais lors du lancement de sa marque HĂŽtel Mahfouf.

« Mon corps a dit stop [
]. C’était pas du tout au planning de mon annĂ©e » nous confie t-elle dans une de ses vidĂ©os sur le sujet.

De fait, la premiĂšre consĂ©quence, c'est la crampe (la surchauffe), voire mĂȘme, la noyade (le burnout).

3. dommages collatéraux

Outre ces coĂ»ts visibles et directs – comme notre santĂ©, la vitesse engendre une multitude de coĂ»ts cachĂ©s. Pour ne prendre qu’un exemple : commander sa bouĂ©e sur Amazon le matin pour la recevoir le soir entretient les mauvaises conditions de travail dans les entrepĂŽts de l’entreprise. En 2021, cela avait mĂȘme fait l’object d’un article de VICE lorsque les travailleur·ses avaient dĂ» braver une tempĂȘte de neige pour respecter les dĂ©lais de livraison annoncĂ©s par la plateforme.

« On devait aller travailler alors mĂȘme qu’un l’état d’urgence avait Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©.

À quel point les gens dĂ©sirent-iels leurs pantoufles Amazon ? Vous voulez que je me tue Ă  la tĂąche - littĂ©ralement – pour les recevoir ? » VICE

©Les temps modernes, Charlie Chaplin

🐙 à la recherche du temps perdu - ralentir, ce privilùge

résiste, prouve que tu existe

Dans notre systĂšme capitaliste, ralentir se conjugue au singulier. S’octroyer le droit de faire une pause est individuel et Ă©quivaut Ă  crĂ©er sa propre bouĂ©e dans un ocĂ©an qu’on traverse Ă  la nage (la vie).

Mais qui peut se targuer de changer de rythme ? Serait-ce comme l’affaire de la grande dĂ©sertion ?

DĂ©but juillet, j’ai donnĂ© une confĂ©rence en Ă©cole. Lorsque j’ai sondĂ© l’assemblĂ©e sur leurs projets de l’annĂ©e prochaine, plusieurs nageur·ses ont rĂ©pondu qu’iels allaient « voyage ». À cela, quelqu'un a rĂ©pondu – trĂšs justement – « encore faut-il avoir les moyens pour le faire ».

S’accorder le luxe de ralentir ou de faire pause – 6 mois, un an, ou plus – c’est avoir les ressources financiĂšres, temporelles et sociales pour ne pas ĂȘtre inquiĂ©té·e concernant la suite. Que cela concerne :

  • Le fait de pouvoir puiser dans ses ressources (Ă©pargne) ou se prĂ©cariser volontairement sans en ressentir l’impact,

  • Le fait de savoir que ralentir le rythme n’aura pas ou peu d’impact sur la suite de son parcours,

  • Le fait d’avoir confiance en sa capacitĂ© Ă  rebondir vite ensuite.

Pour certain·es, prendre ce temps est inconcevable : financiĂšrement, lĂ©galement (lorsque notre position gĂ©ographique est corrĂ©lĂ©e Ă  notre activitĂ©), etc. Il en va de mĂȘme lorsqu’on bifurque vers une ligne de nage alternative.

Myriam Bahaffou, autrice Des paillettes sur le compost statue que c'est cette inĂ©galitĂ© face aux rythmes de vie – et intĂ©gration sociale – qui conditionne les rapports de domination perpĂ©tuĂ©s au sein de ces nouvelles organisations. L’effort le plus grand Ă©tant fourni par celleux pour qui le retour en arriĂšre est inenvisageable car trop violent.

Pour Mya, rĂ©sister Ă  l’accĂ©lĂ©ration se situe dans le quotidien, la prĂ©vention et le rappel que, productivitĂ© et valeur personnelle sont distinctes.

« J’ai un kif de non-productivitĂ© radicale !

J’avais fait tout un systĂšme quand j’étais au chĂŽmage sur comment gĂ©rer de ne rien faire et j’essaie de l’appliquer quand ma tĂȘte explose.

J’essaie surtout de me rappeler qu’il n’y a rien Ă  atteindre qu’il faut que je profite, que je respire surtout parce que c’est plus important d’ĂȘtre heureux sans rien faire. Je crois profondĂ©ment que ça ne veut rien dire sur sa propre valeur les “accomplissements”. » Mya pour La piscine

« parce que c’est notre projet »

Penser l’imaginaire collectif du ralentissement et du repos Ă  l’échelle sociale est essentiel pour aller vers une organisation plus saine.

À titre d’exemple, dans la Rome Antique, les temps Ă©taient sĂ©parĂ©s entre le negotium – le temps des affaires – et l’otium – le temps d’oisivetĂ©. Contrairement Ă  notre sociĂ©tĂ© oĂč l’oisivetĂ© et le « rien » sont perçus de maniĂšre plutĂŽt nĂ©gative, les Romains Ă©taient trĂšs attachĂ©s Ă  ce moment dĂ©diĂ© au repos et la culture. L’otium Ă©tait un temps d’apprentissage, de vagabondage d’esprit et de culture dĂ©connectĂ© de tout agenda mercantile.

Le repos était collectivement pensé hors travail.

RamenĂ© Ă  l’échelle actuelle, penser le repos Ă  un niveau macro est devenu un enjeu Ă  part entiĂšre, tant :

  1. pour rendre nos modes de consommation et de production plus durables,

  2. pour rendre nos cultures de travail plus durables,

  3. et ainsi diminuer notre impact sur la planĂšte.

Malgré cet appel à ralentir, la tension productivité / durabilité persiste. Les votes de loi à sur le plein emploi ou la retraite le montrent bien



💡snack break on

Parlons cinéma, veux-tu ?

Le slow motion est nĂ© au XIXĂšme siĂšcle. Mais Ă  quoi sert cet effet ? Le ralenti est un Ă©lĂ©ment narratif Ă  part entiĂšre. Comme un soupir avant l’envolĂ©e lyrique. Il permet de mettre l’emphase sur une scĂšne, un trait de caractĂšre particulier et indĂ©tectable Ă  l’Ɠil nu.

En bon exhausteur, il intensifie les moments romantiques, cringes ou horrifiques, tel une bonne pincée de sel sur un plat fade.

Le slow motion fait partie intĂ©grante de la trame narrative. À titre personnel, je compare cet effet aux silences ou moment de flou dans une conversation. Je me souviens d’un Ă©pisode oĂč Mathieu Stefani, l’hĂŽte du podcast GĂ©nĂ©ration Do It Yourself racontait son amour du podcast long pour ces mĂȘmes raisons. Pour lui, la beautĂ© des moments forts de la conversation oĂč l’invité·e se livre rĂ©side dans le contraste créé avec le small talk qui prĂ©cĂšde ou qui suit. Couper ces respirations conversationnelles au montage, c’est dĂ©naturer l’échange et l'affadir.

RamenĂ© Ă  nos trajectoires de vie, prendre une pause, c’est s’octroyer un moment pour prendre du recul, faire le bilan et tirer des plans de nage pour la suite (comme le propose le programme La culbute by La piscine)

💡snack break off


🐡 pourquoi prendre le temps ?

aller lentement avant d’aller vite

Je compare souvent l’orientation et la crĂ©ation d’un parcours de nage au Design Thinking. Cette mĂ©thodologie d’innovation amĂ©ricaine formalisĂ©e par IDEO repose sur l’alternance de moments dits « de divergence » – oĂč l’exploration et le tĂątonnement sont de mise – et des moments de convergence oĂč la production est Ă  l’honneur.

Souvent, on reprĂ©sente la pensĂ©e design avec un schĂ©ma de double diamant. Pour ĂȘtre honnĂȘte, je prĂ©fĂšre l’autre schĂ©ma, qu’on appelle le Design Squiggle. LittĂ©ralement : le gribouilli du design. Comme tu peux le voir Ă  l’image, cette approche matĂ©rialise visuellement le temps du chaos inhĂ©rent Ă  toute crĂ©ation. D’une certaine maniĂšre, c'est sur ces propos que Mya a insistĂ© en fin d’entretien : le besoin de prendre son temps pour tester diffĂ©rents caps de nage et diffĂ©rents bassins. Tant pour apprendre Ă  se connaĂźtre que prĂ©parer la suite de son parcours de nage.

« Pour la premiĂšre fois je fais un choix conscient de lĂ©gĂšretĂ©, Ă  la place d’essayer de travailler encore et encore pour rĂ©ussir, pour Ă©viter de sortir en extĂ©riorisant un feu interne tu vois.

J’ai ce besoin de vivre ou de faire. Je l’ai souvent transmutĂ© en travail, mais lĂ  j’essaie d’investir dans des amitiĂ©s, des soirĂ©es et mĂȘme l’amour. » Mya pour La piscine

©Design Squiggle

l’endurance fondamentale

L’alternance entre ces moments de vitesse intense et de stabilitĂ© qu'Ă©voque Mya m’a fait penser Ă  l’importance de penser son entraĂźnement de maniĂšre holistique. Car si construire la musculature suffisante pour mener le sprint final importe, rien ne vaut l’endurance fondamentale pour s’assurer d’arriver Ă  cette derniĂšre ligne droite.

L’endurance fondamentale, c’est un type d’entraĂźnement qui te permet de travailler sur ton cardio. L’objectif ? Renforcer ton cƓur, amĂ©liorer ta rĂ©cupĂ©ration, et prĂ©parer ta machine Ă  encaisser plus de km. Pour cela, il te « suffit » de courir, pĂ©daler ou nager en modĂ©rant ton effort sans dĂ©passer une certaine frĂ©quence cardiaque.

Sur le moment, l’exercice peut ĂȘtre trĂšs frustrant. Mais c’est justement en te FORÇANT Ă  ralentir la cadence tu poses les fondations de tes futures performances longue distance. Alors, pourquoi ne pas faire comme Mya et se forcer Ă  ralentir ?

« C’est normal, non, Ă  25 ans de vouloir s’amuser ? Mais c’est comme si j’avais pas le droit, comme si c’était mal et qu’il n’y avait pas le temps.

Alors je veux tout vite pour pouvoir me reposer, mais j’essaie de me reposer en voulant plus lentement. » Mya pour La piscine


👀 so what ?

In fine, aller lentement, c’est donner de l’épaisseur Ă  un rĂ©cit et construire son personnage. Imagine toi quelques secondes le rĂ©cit de l’OdyssĂ©e si Ulysse Ă©tait rentrĂ© Ă  Ithaque en avion. La planĂšte aurait cramĂ© depuis belle lurette. PĂ©nĂ©lope n’aurait pas eu le temps de dĂ©faire sa tapisserie, TĂ©lĂ©maque serait encore enfant et nous n’aurions pas dĂ©couvert CircĂ© ou la MĂ©diterranĂ©e antique.

Car ce sont dans les pĂ©ripĂ©ties que l’on s’attache Ă  l’histoire, aussi lent son dĂ©roulĂ© soit-il.

Il en va de mĂȘme pour l’orientation. C’est en passant par ces Ă©preuves que l’on progresse brasse aprĂšs brasse pour muer et acquĂ©rir de nouveaux accessoires pour arpenter la piscine de la vie plus sereinement.

Je conclurai avec cette phrase, partagĂ©e par HĂ©loĂŻse, elle aussi nageuse dans La piscine : « Je me dis que je prends de l’avance en prenant le temps maintenant. »


🩀 le temps retrouvĂ© - le kit ralentissement

Une fois qu’on s’est dit tout ça, que faire ? Voici donc un kit pour t’en sortir.

1. prends soin de toi au quotidien,

Voici quelques conseils pour calmer l’anxiĂ©tĂ© de Constance Guyon Desreux, une nageuse avisĂ©e spĂ©cialisĂ©e dans la santĂ© mentale au travail :

→ Limite le sucre et les aliments industriels.

→ Va marcher Ă  proximitĂ© de la mer ou de la forĂȘt. Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que les frĂ©quences dĂ©gagĂ©es ont un vrai effet « calmant ».

→ Tu peux faire des exercices de respiration comme la cohĂ©rence cardiaque ou la respiration carrĂ©e.

→ Tu peux faire du sport (libùre des endorphines trùs efficaces sur le moral)

→ Enfin, tu peux aller voir un·e pro de la santĂ© mentale. Quand on s’est tordu la cheville on va chez le kinĂ©. Alors n’hĂ©sitons pas Ă  faire la mĂȘme chose pour le mental. Le sujet est encore trop tabou et il n’y a pas de honte, ça nous concerne tous·tes.

Selon une enquĂȘte Doctolib de 2021, deux français sur trois ont eu des Ă©pisodes trĂšs difficiles de santĂ© mentale au cours des derniers mois.

2. écoute toi,

J’ajouterais Ă  tout ceci quelques conseils chlorĂ©s made in La piscine :

→ Apprends Ă  lire tes signaux faibles de fatigue – physique et mentale – pour rĂ©agir avant la catastrophe.

Pour ce faire, plusieurs solutions. Tu peux analyser ton rythme de vie, tes appĂ©tences et les habitudes que tu rĂ©alises lorsque tu es dans une pĂ©riode high de ta vie. De cette maniĂšre, tu pourras ĂȘtre alerte lorsque cette routine idĂ©ale s’effritera et dans quelles mesures.

→ Prends du temps pour toi, quitte Ă  devoir physiquement bloquer un crĂ©neau sur ton agenda. Cela peut reprĂ©senter dix minutes post-dej, une heure avant d’aller te coucher ou une journĂ©e chaque week-end, Ă  toi de trouver un rythme tenable sur la durĂ©e.

3. et interroge l’injonction Ă  la rapiditĂ©.

Enfin, voici quelques questions Ă  te poser avant d’accĂ©lĂ©rerđŸ‘‡đŸŸ

  • Ai-je besoin d’aller plus vite ?

  • La dĂ©cision de ralentir / accĂ©lĂ©rer m’appartient-elle ?

  • Quelle serait la pire consĂ©quence de mon refus d’accĂ©lĂ©rer ?

  • Que gagnerais-je Ă  accĂ©lĂ©rer ? Et Ă  ralentir ?

  • Qu’est-ce qui me fait peur dans le fait d’aller lentement ?

  • Quels pourraient-ĂȘtre les dommages collatĂ©raux de ma vitesse ?

J’espĂšre que ces conseils t’aideront Ă  devenir un·e aqua(wo)man de la lenteur ! Si tu souhaites m’en dire plus sur tes habitudes, c’est par ici.


🛠 quelques ressources pour aller plus loin

đŸ‘‰đŸŸÂ AliĂ©nation et AccĂ©lĂ©ration de Harmut Rosa.

đŸ‘‰đŸŸÂ L’épisode du podcast PloufđŸŠâ€â™€ïž avec Ralitsa qui nous explique comment elle est sortie de la logique compĂ©titive pour construire une vie Ă  son image.

đŸ‘‰đŸŸÂ L’édition de la Ploufletter Bonjour, vous montez ou vous descendez ? sur la question de la rĂ©gression sociale.

đŸ‘‰đŸŸÂ Le dernier opus de la sĂ©rie de film Work in progress intitulĂ© Why do we even work? de Samuel Durand qui se concentre sur l’organisation de nos modes de travail
. dont les pauses.

đŸ‘‰đŸŸÂ Pour prendre un contrepied de l’instantanĂ©itĂ© de nos quotidiens, go check la newsletter Rembobine par TimothĂ©e Vinchon qui t’emmĂšne faire un tour dans les archives de l’actu’.

đŸ‘‰đŸŸÂ Le livre Ralentir ou pĂ©rir de TimothĂ©e Parrique oĂč les liens entre bien-ĂȘtre, rĂ©silience et dĂ©croissance se tissent plus fort que jamais.

đŸŠâ€â™€ïžÂ les recos de nageur·ses

Merci la swimming team pour vos recommandations sur le sujet que voici :

đŸ‘‰đŸŸÂ La lenteur de Kundera.

đŸ‘‰đŸŸÂ L’éloge de la lenteur de Carl HonorĂ© pour se rĂ©concilier avec ce rythme de vie.

đŸ‘‰đŸŸÂ L’application Petit Bambou pour se lancer dans la mĂ©ditation et ralentir entre deux sessions de natation.

đŸ‘‰đŸŸÂ Politiser le bien-ĂȘtre de Camille Teste sur l’importance de ralentir et de se crĂ©er des oasis de repos.


Ça t’a plu ? Fais passer le mot !

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À trùs vite pour un nouveau plongeon 🐋

Apolline


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À toi de voir dans quelle team tu te situes. Tant que tu t’hydrates et que tu mets de la crùme solaire, qui suis-je pour juger ?

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Oui, j’ai inventĂ© ce mot-valise

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Voir le Gaffiot

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