Fais pas genre - De l'égalité dans l'orientation
Genre, Ă©ducation et orientation, un trio gagnant ?
Avec cette Ă©dition je te propose de plonger ensemble les eaux incertaines de lâ(in)Ă©galitĂ© homme-femme. En remontant dâabord Ă la source, pour comprendre quels sont ces biais de genre et leur origine. Puis, en sortant en eaux libres explorer comment Ćuvrer pour plus dâinclusivitĂ©.
La Ploufletter est un espace crĂ©Ă© par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je tây apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă te connaĂźtre et construire une voie Ă ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. Le couloir de nage, câest la voie que lâon choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que lâon passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Plonger dans le carnet de jeu à lâeau pour lancer ton introspection,
DĂ©couvrir le programme introspectif de La piscine conçu pour tâaider Ă trouver ta voie·x,
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đ Avant le plongeon
Coucou toi ! JâespĂšre que tu vas bien et que le plan dâeau dans lequel tu tâentraĂźnes nâest pas trop assĂ©chĂ©. La pluie des prochains jours devrait nous maintenir Ă flot, au moins jusquâĂ lâĂ©tĂ©. Ici, tout flotte. Ă lâheure oĂč tu me lis je suis sĂ»rement sous lâeau, Ă courir en bord de ruisseau.
Si je tâenvoie cette missive par poisson volant, câest pour te parler dâun sujet qui me tient Ă cĆur. Jâai nommĂ© : l'Ă©galitĂ© homme-femme. Si tes feeds ressemblent au mien, tu as dĂ» voir fleurir moult publications sur le sujet Ă lâoccasion du 8 mars. Mais, au-delĂ des prises de parole ce jour-lĂ , on en est oĂč de lâĂ©galitĂ© homme-femme ?
Quelques rappels đ
Aujourdâhui, sur les 29,6 millions de nageur·ses actif·ves en France (Insee, 2017), plus de 14 millions sont des femmes. Lâindice de travail fĂ©minin est au plus haut. Pourtant :
Seules 17% des professions sont considérées comme mixtes
Les femmes restent minoritaires aux postes à haute responsabilité en entreprises ou en politique
LâĂ©cart salarial entre les hommes et les femmes est de 22% en France (2022)
Les femmes continuent Ă cumuler les rĂŽles et les journĂ©es de travail. Dans le foyer, ce sont elles qui sâoccupent en majoritĂ© des tĂąches domestiques (72%) et familiales (65%). Cette sĂ©paration des rĂŽles influence Ă la fois la charge mentale, lâĂ©nergie, la performance et le dĂ©veloppement de leur trajectoires de nage. Cela se rĂ©percute â aussi â une fois Ă la retraite, leur carriĂšre de nageuse achevĂ©e
Perso, ça me laisse mi-figue (de mer) mi-raisin. Comment se fait-il quâon en soit encore Ă ce stade, quasi soixante ans aprĂšs lâobtention des droits : de vote, dâaccĂšs au travail et de possession de compte en banque ? Quels biais peuvent influencer ces dĂ©veloppements socio-natatoires ?
Je te propose donc de plonger ensemble dans ces inĂ©galitĂ©s. Dâabord en remontant Ă la source, pour comprendre quels sont ces biais de genre et leur origine. Puis, en sortant en eaux libres explorer comment Ćuvrer pour plus dâinclusivitĂ©.
â ïžÂ Nous allons essentiellement parler des inĂ©galitĂ©s homme-femme, mais nâoublions pas que celles-ci peuvent se mĂȘler Ă dâautres formes dâinĂ©galitĂ©s sociales, ethniques, etc. â ïž
Fasten your bouĂ©e, weâre about to take off đââïž
đ€ż pĂ©diluve
cette plouf-letter est-elle faite pour toi ?
đ€Pour faire cet exercice, il te faudra lever sept doigts. Youâre good to read. Ă chaque affirmation dans laquelle tu te reconnais, abaisse un doigt.
Tu as Ă©tĂ© Ă lâĂ©cole primaire / au collĂšge / au lycĂ©e
Tu tâes dĂ©jĂ retenu·e de nager dans une certaine direction par manque de reprĂ©sentation dans les profils dĂ©jĂ engagĂ©s dans cette ligne dâeau
Tu te demandes pourquoi on pose encore la question « avez-vous prĂ©vu dâavoir des enfants ces prochaines annĂ©es ? »
Tu aimes / tu as toujours rĂȘvĂ© de casser lâambiance en soirĂ©e
Tu as été enfant
Tu as lâimpression que ton genre a influencĂ© les projections de ton entourage sur ta trajectoire de nage ?
Tu tâes dĂ©jĂ senti·e obligé·e de tâorienter dans une direction ou dâagir dâune certaine maniĂšre pour correspondre Ă des normes de genre ?
Si tu as répondu « oui » à au moins deux questions, ajuste ton masque de plongée, cette édition va te parler !
đ  les nageur·ses du jour
Comme toujours, cet article mĂȘle tĂ©moignages, recherches acadĂ©miques et rĂ©fĂ©rences culturelles diverses.
Je suis donc partie, palmes aux pieds, Ă la rencontre de pros et membres de la communautĂ©. Jâai Ă©changĂ© fin janvier 2023 avec Candice Barret et Marine Koch, toutes deux nageuses StĂ©phanoises dâadoption. DiplĂŽmĂ©es en Ă©tudes de genre, elles poursuivent une mission commune : favoriser lâĂ©galitĂ©. Pour ce faire, Candice a choisi de nager sous son propre Ă©tendard et Marine a rejoint un club associatif. Toutes deux interviennent dans des centres dâentraĂźnement (aka, structures Ă©ducatives1) pour sensibiliser et Ă©duquer aux biais de genre.
CĂŽtĂ© nageur·ses, je suis allĂ©e faire quelques brasses dans la piscine de lâAgence Spatiale EuropĂ©enne pour y rencontrer Flavie. Cette nageuse questionne beaucoup la relation quâa pu avoir son genre sur sa trajectoire de nage. Ensemble, nous avons parlĂ© de son Ă©ducation dans une fratrie mixte, double standards de rĂ©ussite, ingĂ©nierie et mixitĂ© au travail. Jâai aussi Ă©changĂ© avec Margaux, nageuse en reconversion perpĂ©tuelle. DiplĂŽmĂ©e dâun cursus culturel gĂ©nĂ©raliste, celle-ci a plongĂ© tour Ă tour dans lâentrepreneuriat, le marketing et la charcuterie. Aujourdâhui, Margaux amorce une nouvelle culbute dans son parcours pour sâorienter vers la comptabilitĂ©. Ses domaines de prĂ©dilection Ă©tant en majoritĂ© perçus comme masculins, jâai donc souhaitĂ© en savoir plus sur les fondations de son parcours.
Enfin, comme cela est suffisamment rare pour le souligner, jâai pu Ă©changer avec deux nageurs : Alexandre et Corentin, respectivement photographe et journaliste. Notre discussion a tournĂ© autour de leur Ă©ducation, leur rapport Ă la crĂ©ativitĂ© et lâorientation. De fait, tous deux se sont lancĂ©s dans le grand bain de la vie active en tant quâingĂ©nieurs avant de culbuter vers des professions plus crĂ©atives.
Merci à tous·tes pour vos partages !
đĄ plongĂ©e dans les stĂ©rĂ©otypes
Lâexpression biais de genre fait rĂ©fĂ©rence Ă lâensemble des Ă©lĂ©ments qui influencent notre reprĂ©sentation des genres, que lâon parle Ă©ducation, stĂ©rĂ©otypes, langage, etc.
le type, une gĂ©nĂ©ralisationâŠ
Tout comme la Comedia dellâarte a recours a des personnages types pour susciter le rire, les stĂ©rĂ©otypes rendent gĂ©nĂ©riques des traits personnels. CĂŽtĂ© genre, on aboutit Ă des gĂ©nĂ©ralisations telles que : « les femmes sont nulles en maths », « les sciences, câest pour les mecs » ou encore « les femmes nâont pas le sens de lâorientation ».
Au-delĂ du fait que le potentiel comique de ces stĂ©rĂ©otypes est limitĂ©, lâimage que ceux-ci vĂ©hiculent est plutĂŽt nĂ©gative et peut influencer le comportement des personnes concernĂ©es.
⊠qui peut sâavĂ©rer handicapante
Le stĂ©rĂ©otype devient problĂ©matique lorsquâil entrave les vellĂ©itĂ©s des un·es et des autres Ă nager dans une direction. Câest ce que lâon appelle « La menace du stĂ©rĂ©otype » ou « prophĂ©ties auto-rĂ©alisatrices ».
Je pense, Ă titre dâexemple, la relation que les jeunes nageuses peuvent entretenir avec les matiĂšres scientifiques pendant leur entraĂźnement2.
« Il y a quelques annĂ©es, une Ă©tude a Ă©tĂ© menĂ©e aux Ătats-Unis. Elle consistait Ă faire passer un test de mathĂ©matiques. On a pris deux groupes mixtes : filles-garçons dâun cĂŽtĂ© et filles-garçons de lâautre.
Ă un groupe on leur a dit que câĂ©tait de la gĂ©omĂ©trie, Ă lâautre on leur a dit que câĂ©tait du dessin. Celui Ă qui on a dit que câĂ©tait de la gĂ©omĂ©trie, les filles sont en Ă©chec. Mais pour le groupe Ă qui on a dit que câĂ©tait du dessin, les rĂ©sultats sont les mĂȘmes cĂŽtĂ© filles et cĂŽtĂ© garçons.
Câest pas une question de compĂ©tence, dâĂȘtre meilleur·es ou non en maths, câest une question de « on a tellement intĂ©grĂ© ce stĂ©rĂ©otype lĂ , on nous a tellement rĂ©pĂ©tĂ© que les filles Ă©taient moins bonnes en maths que ça a altĂ©rĂ© nos compĂ©tences et ça vient de fait nous mettre en Ă©chec ». Candice, au micro du podcast Ploufđââïž
Cette « menace du stĂ©rĂ©otype » mise en exergue dans lâĂ©tude peut influencer les trajectoires natatoires des jeunes espoirs du bassin. Ainsi les jeunes nageuses optent Ă 74% pour des filiĂšres littĂ©raires post bac et seulement 30% dâentre elles font le choix de se tourner vers des eaux plus scientifiques.
Mais comment se construisent ces stéréotypes ?
đĄÂ plonger Ă la source : genre et famille, une question dâhĂ©ritage
tu concourrais dans quelle discipline, enfant ?
DĂšs notre enfance, notre genre influence notre Ă©ducation, nos loisirs ou encore les qualitĂ©s que lâon dĂ©veloppe. Je me suis donc intĂ©ressĂ©e au choix des activitĂ©s extra-scolaires des nageur·ses rencontré·es.
Pour Corentin, la rĂ©ponse est catĂ©gorique. Lâimpact de son genre â masculin â sur ses loisirs est indĂ©niable.
« Jâai fait du rugby, me dit-il. Dâailleurs, jâai un peu lâimpression dâavoir laissĂ© de cĂŽtĂ© la fibre crĂ©ative que je dĂ©veloppe aujourdâhui. »
Pour Alexandre, la réponse est similaire et la différence fraternelle fortement marquée.
« Moi aussi câĂ©tait assez classique, ma sĆur a fait de l'Ă©quitation et moi du foot. Jâai trois ans de diffĂ©rence avec elle »
Pour Margaux, la rĂ©ponse est plus mitigĂ©e puisque dans sa famille, la notion de performance prĂ©vaut sur celle du genre. Enfant, elle rĂȘvait de devenir Ă©crivaine « en sachant pertinemment que je ne le serai jamais ». Puis, elle a nourri celui de devenir styliste et dây renoncer en voyant les croquis dâautres artistes quâelle percevait comme plus talentueux·ses quâelle Ă son Ăąge. Cet amour de lâexcellence, elle le retrouve ensuite dans les activitĂ©s que lui proposent ses parents.
« Jâai eu le choix entre guitare ou tennis, jâai fait du tennis » me dit-elle avant de me confier quâaujourdâhui encore, la performance Ă©talonne la valeur de ses actions. « Si jâarrive pas Ă un certain niveau (ou si je sais que je ne pourrai pas atteindre un certain niveau), je laisse tomber »
tu rĂȘvais de devenir quel·le nageur·se plus tard ?
Outre nos activitĂ©s, les modĂšles avec lesquels on Ă©volue forgent notre perception de la division des rĂŽles â genrĂ©s â au sein du foyer et dans la sociĂ©tĂ©. Que cela concerne la ligne de nage que lâon emprunte, lâentretien du matĂ©riel â Ă qui cela incombe-t-il ? â ou les honneurs reçus ensuite.
Cette transmission sâeffectue Ă la fois par les images auxquelles on est confronté·es, aux histoires que lâon (se) raconte et Ă lâenvironnement dans lequel on nage et influence nos dĂ©cisions futures.
« Ma mĂšre Ă©tait femme au foyer. Moi jâai toujours voulu Ă©viter ça. Jâai besoin de faire quelque chose, de me sentir utile » Margaux
« Mon pĂšre est ouvrier, ma mĂšre travaille dans le social, câĂ©tait trĂšs classique.
Moi, je suis devenu ingénieur » Corentin
Au cours de notre conversation, Flavie me raconte sâest creusĂ© lâĂ©cart entre la perception de la rĂ©ussite fĂ©minine que sa famille lui a transmis pendant son adolescence vs. celle transmise Ă ses frĂšres.
« Jâai cumulĂ© less activitĂ©s jusquâen premiĂšre et comme le rythme Ă©tait trop intense jâai arrĂȘtĂ©. Ma mĂšre nâĂ©tait pas contente que jâarrĂȘte la musique. Elle aurait prĂ©fĂ©rĂ© que ce soit le sport. Je nâavais pas le droit de rĂ©ussir dans le sport. Il fallait que ce soit la rĂ©ussite scolaire. CâĂ©tait diffĂ©rent pour mon frĂšre qui lui, nâĂ©tait pas bon à lâĂ©cole
Idem pour le bac. Pour moi câĂ©tait la mention trĂšs bien ou rien. Les standards Ă©taient beaucoup plus bas pour mes frĂšres » Flavie
Encore aujourdâhui, cette perception scolaire influence sa maniĂšre de percevoir sa trajectoire par un biais trĂšs scolaire. « Je sens que je suis encore dans ce modĂšle travail Ă©gale rĂ©compense, avant de passer Ă lâĂ©tape supĂ©rieure jâai encore envie dâavoir tout en ordre pour pouvoir prĂ©tendre Ă plusâŠ. »
Le cas de Flavie nâest pas isolĂ©. Outre lâĂ©ducation souvent plus stricte pour les jeunes filles devant prĂ©senter des qualitĂ©s comme lâĂ©coute, lâempathie â toutes associĂ©es Ă un rĂŽle support â, celles-ci apprennent dĂšs le plus jeune Ăąge Ă respecter le cadre vs. lâaudace ou la tĂ©mĂ©ritĂ©, beaucoup plus valorisĂ©es chez les petits garçons.
Voici quelques autres tĂ©moignages de nageuses collectĂ©s pendant une session questions - rĂ©ponses collaborative sur le compte Instagram de La piscine đ
« On mâa fait passer derriĂšre mon frĂšre niveau scolaritĂ©, jâĂ©tais toujours trop grosse, etc. » Marie
« Beaucoup de restrictions par rapport Ă mes frĂšres, alors que jâĂ©tais plus vieille » CĂ©line
« Les projections de mes parents pour moi nâĂ©taient pas les mĂȘmes pour mes frĂšres » Selma
« Mes frÚres sont allés en filiÚre scientifique / ingé et moi en filiÚre économique » Emma
Pour Marine et Candice, c'est dans cet apprentissage de « rester sa place » vs. « prendre sa place » que se créent les différences de nos développements personnels ensuite.
« MĂȘme quand ils avaient des moyennes en maths entre 6 et 9, les garçons en seconde vont quand mĂȘme demander Ă entrer en premiĂšre S lĂ oĂč les filles pas du tout. Une fille allait se sentir lĂ©gitime Ă postuler en S que quand elle avait des bonnes notes â peut importe ce que ça veut dire » Marine, au micro du podcast Ploufđââïž
Je pourrai te citer comme exemple le contraste flagrant entre lâapproche fĂ©minine et masculine des candidatures. La majoritĂ© des nageuses sâautorise Ă postuler pour rejoindre un club de nage si elle remplit au moins 80% des critĂšres sur lâannonce. Ă lâinverse, les nageurs feront la dĂ©marche dĂšs quâils en cochent 50%. On pourrait Ă©galement se pencher sur la nĂ©gociation salariale, les demandes de promotion, dâaugmentation, etc.
Mais alors, comment fait-on pour y remédier ?
đŠÂ nager en eaux libres - comment renverser la tendance ?
inclusivité dans le langage
Commençons par une devinette : Un mĂ©decin a un frĂšre, mais ce dernier nâa pas de frĂšre. Comment cela se fait-il ?
Je te laisse y réfléchir, la réponse est juste en dessous.
âŠ. Le mĂ©decin est une femme.
Cette Ă©nigme traduit la rĂ©alitĂ© de notre langage. MĂȘme si le terme mĂ©decin est Ă©picĂšne, notre imaginaire produit par dĂ©faut la figure dâun mĂ©decin masculin. Et, je mets mon gant palmĂ© Ă couper que tes reprĂ©sentations mentales sont similaires si je te parle dâingĂ©nieur·e ou dâentrepreneur·e.
LĂ est dâailleurs tout le dĂ©bat concernant la (re)fĂ©minisation de termes en faisant en sorte dâentendre la diffĂ©rence Ă lâoral â ce qui Ă©tait dâailleurs le cas au Moyen-Ăge oĂč chaque profession pouvait ĂȘtre nommĂ©e au masculine ET au fĂ©minin comme nous lâavait rappelĂ© Candice au micro du podcast Ploufđââïž : « On avait trouvĂ© le mĂ©tier de archer, archĂšre, chevalier, chevaleresse â et ce nâĂ©tait pas la femme du chevalier mais vraiment une femme qui montait Ă cheval et qui allait combattre ».
Câest au XVIIĂšme siĂšcle, Ă la naissance de lâAcadĂ©mie Française, que les termes fĂ©minins disparaissent pour faire la place au neutre masculin et Ă cette rĂšgle que nous connaissons tous·tes : « le masculin lâemporte sur le fĂ©minin »
Notre architecture de langage tĂ©moigne de notre interprĂ©tation du monde. Dâune certaine maniĂšre, parler, câest tenter de faire chausser tes lunettes de plongĂ©e au reste de ton Ă©quipe pour quâiels voient les choses Ă travers ton prisme. Partager un vocabulaire, des rĂšgles de grammaire, etc. Ă lâĂ©chelle sociale, câest aussi partager une vision des choses. En lâoccurence, des visions genrĂ©es.
« La sociĂ©tĂ© nâest possible que par la langue ; et par la langue aussi lâindividu. LâĂ©veil de la conscience chez lâenfant coĂŻncide toujours avec lâapprentissage du langage, qui lâintroduit peu Ă peu comme individu dans la sociĂ©tĂ©. [âŠ].
La pensĂ©e nâest rien dâautre que ce pouvoir de construire des reprĂ©sentations de choses et dâopĂ©rer sur ces reprĂ©sentations. La pensĂ©e nâest pas un simple reflet du monde ; elle catĂ©gorise la rĂ©alitĂ©, et en cette fonction organisatrice elle est si Ă©troitement associĂ©e au langage quâon peut ĂȘtre tentĂ© dâidentifier pensĂ©e et langage Ă ce point de vue. » Benveniste3
Un exemple. Parler de « secrĂ©taire de direction » ou de « bras droit du CEO » nâĂ©voque pas le mĂȘme prestige, niveau de responsabilitĂ©, dâĂ©tudes, Ăąge ou mĂȘme genre Ă la personne qui lâentend. « SecrĂ©taire » a une connotation trĂšs opĂ©rationnelle, aux responsabilitĂ©s limitĂ©es Ă la gestion dâappels ou de planification de calendrier. Le personnage que jâimagine Ă lâinverse « bras droit du CEO » fait penser Ă une personne jeune, dynamique, et masculine. Dâailleurs, en anglais, la diffĂ©rence genrĂ©e de ces professions sâentend dans le vocabulaire : « secretary » vs. « right hand man »
Voici un test effectuĂ© sur DALL-E oĂč jâai demandĂ© Ă lâintelligence artificielle de me crĂ©er une image pour le terme de secrĂ©taire â sans mention de genre. Je te laisse voir le condensĂ© de nos clichĂ©s. Le terme de secrĂ©taire se teinterait donc encore dâune bonne dose « dâĂ©rotisme », saupoudrĂ© dâune apparente nostalgie des annĂ©es 19704 đ
Penser â et qualifier â une rĂ©alitĂ© inclusive, câest ouvrir lâimaginaire des possibles professionnels. De quoi permettre Ă tous·tes les cadet·tes nageur·ses de se projeter dans une ligne de nage, indĂ©pendamment de leur genre. Et câest cette Ă©galitĂ© dâimaginaire que revendique Margaux avec son parcours.
« Jâaime me dire que câest possible. Je ne me suis pas posĂ©e la question du genre lorsque je me suis orientĂ©e vers la charcuterie » Margaux
lâexemple de friends
Le saviez-tu ? Si la sĂ©rie Friends sâĂ©tait dĂ©roulĂ©e en France, cet Ă©pisode nâaurait peut-ĂȘtre pas vu le jour
The one with the male nanny est sorti sur lâonde en 2002. Dans cet Ă©pisode, Ross & Rachel dĂ©cident dâembaucher une nourrice pour garder leur fille, Emma. AprĂšs moult dĂ©convenues et faux dĂ©parts dans le bassin, le couple se dĂ©cide Ă embaucher Sandy, un jeune homme dont la vocation est de prendre soin dâenfants et de les accompagner dans leur dĂ©veloppement.
Que ce soit Ă titre individuel ou des membres du groupe d'ami·es, la dĂ©cision fait des vagues. Car, dans les esprits, nourrice, câest un rĂŽle fĂ©minin. LâintĂ©gration de Sandy dans le foyer Green-Geller est dâautant plus discutĂ©e que celui-ci sâavĂšre trĂšs au fait de la pĂ©dagogie infantile, sensible et Ă lâĂ©coute. Si ces qualitĂ©s ravissent les personnages fĂ©minins de la sĂ©rie, les hommes ne peuvent sâempĂȘcher de questionner la virilitĂ© de ce nourrice.
Mais pourquoi cet Ă©pisode aurait-il pu relever du domaine de la fiction en France ?
Figure toi que, jusquâen 1992, le mĂ©tier de nourrice / assistante maternelle nâest genrĂ© quâau fĂ©minin sur les textes de lois. Ce nâest quâĂ cette date quâun dĂ©cret inclusif introduit la mixitĂ© dans la profession â dĂ©cret mis en application en 1993. Ce « dĂ©tail » empĂȘchait de facto tout homme aspirant Ă se faire agrĂ©er assistant maternel de sâĂ©lancer dans cette ligne de nage. Aujourdâhui, on compte 3% dâhommes dans cette profession, preuve Ă©tant quâil nous reste encore beaucoup de chemin Ă faire sur cette thĂ©matique.
Cet exemple, choisi parmi tant dâautres, tĂ©moigne de lâinfluence concrĂšte que peut avoir lâinclusivitĂ© sur le dĂ©veloppement de nos trajectoires de nage. Peut-ĂȘtre cet Ă©pisode a-t-il fait Ă©clore des vocations ? LancĂ© des conversations sur nos biais de genre ? IncitĂ© des employeur·ses Ă considĂ©rer lâinclusivitĂ© dans leurs offres dâemploi pour favoriser lâĂ©quitĂ© ? Qui sait âŠ.
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Connais-tu lâescalator de verre ?
Dans lâĂ©pisode de Friends, Sandy rĂ©vĂšle Ă la famille Geller-Green quâil est trĂšs sollicitĂ© en tant que nourrice homme dans un mĂ©tier fĂ©minin. Lâoccasion parfaite de sâĂ©lancer Ă palmes jointes dans le concept du jour : lâescalator de verre.
Ce terme a Ă©tĂ© inventĂ© en 1990 par Christine L. Williams, sociologue amĂ©ricaine, et fait Ă©cho Ă un autre terme technique que lâon connaĂźt tous·tes : le plafond de verre. Ă lâinverse du plafond â qui bloque les femmes dans leur ascension professionnelle â lâescalator de verre fait rĂ©fĂ©rence Ă lâaccĂ©lĂ©ration de carriĂšre dont bĂ©nĂ©ficient souvent les hommes Ă©voluant dans des milieux dits « fĂ©minins ».
Ainsi, la part de femmes exerçant un mĂ©tier dans le domaine social est majoritaire â 84% â, mais cela nâindique en rien comment â et si â cette mixitĂ© est aussi effective dans la sphĂšre managĂ©riale.
Pour Marine Koch, cette vision plus qualitative de la division du travail rendrait notre approche de la mixitĂ© â et des dĂ©fis qui lui sont liĂ©s â plus pertinente. SpĂ©cialisĂ©e en Ă©tudes politiques, elle nous avait donc partagĂ© en guise dâexemple la rĂ©partition â genrĂ©e â des commissions Ă lâAssemblĂ©e Nationale qui comptabilise 37,3% de dĂ©putĂ©es depuis les derniĂšres Ă©lections en 2022.
Le constat est similaire Ă lâĂ©chelle sĂ©natoriale. Si la prĂ©sidence est formellement paritaire â 4 vice-prĂ©sidents pour 4 vice-prĂ©sidentes â, on observe que cette paritĂ© est beaucoup plus relative si lâon se penche sur les commissions auxquelles appartiennent les sĂ©nateur·rices nommé·es. Les femmes appartiennent Ă la commission Ă lâĂ©galitĂ© homme/femme, aux affaires Ă©conomiques, Ă lâĂ©ducation et le social tandis que celles des hommes affichent : finance, dĂ©fense, et lois constitutionnelles.
Ce phĂ©nomĂšne de « sĂ©grĂ©gation horizontale » â concernant la nature des postes occupĂ©s â complĂšte celui, plus connu, de « sĂ©grĂ©gation verticale » en rĂ©fĂ©rence Ă lâaccĂšs des femmes aux postes Ă haute responsabilitĂ©. Cette vision plus globale des inĂ©galitĂ©s permet dâĂ©viter un Ă©cueil qui serait de lutter pour lâaugmentation numĂ©rique des femmes dans un domaine sans se concentrer sur lâaspect qualitatif de la division du travail.
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đŠ ouvrir l'horizon des possibles natatoires - la question de la reprĂ©sentativitĂ©
changer nos modĂšlesâŠ
Outre lâinclusivitĂ©, dĂ©genrer la direction que prennent nos trajectoires de nage peut passer par lâouverture de lâhorizon des possibles des imaginaires enfantins
« En terminale je ne savais pas oĂč jâallais aller. Aujourdâhui je trouve quâil est important de confirmer mon choix avec des gens en qui jâarrive Ă me reconnaĂźtre » Flavie
Pendant ma conversation avec Flavie, les blagues sur la paritĂ© vont bon train, dâautant plus que celle-ci travaille aujourdâhui dans un milieu plutĂŽt connu pour sa non-mixitĂ© : lâaĂ©rospatiale.
Pourtant, dans les annĂ©es 1950, des Ă©tudes mĂ©dico-psychologiques mettent en exergue les avantages Ă envoyer une femme dans lâespace, il faudra attendre 1963 pour que la premiĂšre astronaute â soviĂ©tique â dĂ©colle. Ă date, 71 astronautes ont Ă©tĂ© lancĂ©es en vol orbital et reprĂ©sentent un pourcentage minime des astronautes. Mais, si les cohortes aĂ©rospatiales peinent Ă se diversifier, « les fonctions supports sont assez paritaires » â si lâon exclut dâautres formes de diversitĂ©Â â mentionne la nageuse.
Comme je te le mentionnais en introduction, une Ă©quipe de nage est considĂ©rĂ©e comme mixte Ă partir du moment oĂč la part des hommes se situe entre 40% et 60% de l'effectif (welcome to the jungle). Si la massification de l'enseignement primaire puis supĂ©rieur a permis aux filles de se lancer Ă l'eau, les spĂ©cialisations choisies restent trĂšs stĂ©rĂ©otypĂ©e. Ainsi la (feu) filiĂšre littĂ©raire est composĂ© Ă 80% de nageuses tandis que les nageurs se tournaient vers les filiĂšres scientifiques et Ă©conomiques. Cette diffĂ©rence se retrouve dans les Ă©tudes supĂ©rieures. par exemple, en CPGE littĂ©raire on compte 76% de nageuses vs. seulement 29% en filiĂšres scientifiques (L'orientation au prisme du genre - Cairn)
La question qui se pose concerne donc les modÚles qui nous sont présentés pendant notre enfance.
Pour filer l'exemple spatial, Ă lâĂ©cole, on nous parle de Thomas Pesquet, sans mentionner Claudie HaignerĂ© qui a exercĂ© en mĂȘme temps que lui. En sport, on finance et diffuse en prioritĂ© les Ă©quipe masculines, tout en omettant les performances fĂ©minines pourtant tout aussi talentueuses. Ce dont on a surtout besoin comme le mentionne Flavie, câest de dĂ©velopper un imaginaire mĂ©tier paritaire, pour que chacun·e puisse se projeter dans une ligne de nage indĂ©pendamment de son genre.
« En terminale je ne savais pas oĂč jâallais aller. Aujourdâhui je trouve quâil est important de confirmer mon choix avec des gens en qui jâarrive Ă me reconnaĂźtre » Flavie
Câest dâailleurs pour faciliter cette fĂ©minisation que des associations sectorielles comme SISTA dans lâentrepreneuriat, 50InTech pour la tech ou encore She Said So pour lâindustrie musicale sont nĂ©es. Elles proposent â entre autre â lâĂ©mergence de nouveaux modĂšles, du mentorat ou des confĂ©rences pour permettre aux jeunes nageuses de sâĂ©lancer dans ces domaines.
âŠet neutraliser les disciplines de nage
Favoriser lâintervention en interne de profils divers sur des thĂ©matiques transverses peut Ă©galement participer Ă dĂ©cloisonner notre vision de la division du travail.
Pendant mon annĂ©e dâaccompagnement, peu de maĂźtre-nageuses sont intervenues dans mon centre dâentraĂźnement. Les rares Ă nous avoir partagĂ© leur expertises ont abordĂ© des thĂ©matiques « fĂ©minines » ; soit, le marketing, lâĂ©ditorialisation, la communication ou la prĂ©vention des violences sexistes et sexuelles en club.
Pour dĂ©-genrer cette approche professionnelle, la solutions serait alors de faire intervenir des nageuses sur des thĂ©matiques perçues comme plus « masculines » comme la levĂ©e de fonds, le dĂ©marchage, etc. Ou bien, Ă lâinverse, de faire intervenir des nageurs sur des aspects moins techniques ou monĂ©taires de la gestion de complexe sportif. Le tout afin de banaliser lâassociation du fĂ©minin Ă dâautres domaines d'expertise natatoires.
đ so what ?
Difficile de trouver une chute Ă un sujet aussi complexe.
Aujourdâhui, je me dis surtout que mettre en avant les nageuses et les inĂ©galitĂ©s encore en vigueur dans une optique dâamĂ©lioration, câest cool. Le cantonner au 8 mars, câest dommage. Dâautant plus que changer nos perceptions, imaginaires et usages, câest un marathon qui vaut pour toutes formes de mixitĂ©.
Dans cette Ă©dition de la Ploufletter, on avait parlĂ© de Maboula Soumahoro, professeure et Ă©crivaine, qui percevait sa position acadĂ©mique comme une premiĂšre pierre vers plus de mixitĂ© socio-ethnique acadĂ©mique. De mĂȘme, lâaccĂšs Ă ce statut seul ouvrait un nouvel imaginaire de rĂ©ussite pour les jeunes espoirs du bassin non-blanch·es.
Ces processus de changement sont particuliÚrement long. Et tout ceci demande beaucoup de vigilance pour ne pas régresser, surtout en temps de crise. Il est donc essentiel de continuer à se battre pour faire évoluer nos horizons de nage.
Alors, prĂȘt·e Ă Ćuvrer pour le 8 mars tous les jours ?
đ « pour ouvrir lâhorizon des possibles, on a vraiment tout un travail à faire autour de la reprĂ©sentation »
La rencontre du jour au bord du bassin ne se lit pas, elle sâĂ©coute !
Cet Ă©pisode du podcast Ploufđââïž, enregistrĂ© au cours du Festival de lâApprendre en janvier 2023, explore le sujet des inĂ©galitĂ©s de genre sur le prisme de notre Ă©ducation.
Je te laisse donc en compagnie de Marine Koch et Candide Barret đ
Et crawle par ici pour lire la transcription
đ Â quelques ressources pour aller plus loin
đ LâĂ©dition prĂ©cĂ©dente de la Ploufletter sur les inĂ©galitĂ©s de genre en entreprise
đ Le TED de Lily Singh, youtubeuse et humoriste A seat at the table isn't the solution for gender equity (Faire la place nâest pas la solution de l'Ă©galitĂ©), 2022
đ Le TED de Sara Sanford How to design gender bias out of your workplace (Concevoir un environnement de travail pour Ă©liminer les biais de genre), 2020
đ La vidĂ©o Votre cerveau vous biaise de la sĂ©rie MatiĂšre Grise par Fabien Olicard avec Simon Astier. Ils plongent ensemble dans l'exploration de nos biais cognitifs
đ Lâarticle Le parcours de carriĂšre des femmes - comment dĂ©passer les prophĂ©ties autorĂ©alisatrices ? qui se penche sur la menace du genre
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
đ Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner
đ Tu ressens le besoin dâĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou mâenvoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins
đ Tu fais partie dâune structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets dâorientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email (hello@thewhy.xyz) si tu veux que lâon en discute ensemble
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
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Note de bas de page : Par ici pour découvrir le vocable de La piscine https://ourmillennialstoday.me/comprendre-le-vocabulaire-de-la-piscine
Exemple pris tout Ă fait au hasard
Benveniste E., 2012, DerniÚres Leçons. CollÚge de France, 1968 et 1969, édition établie par J.-CL. Coquet et IrÚne Fenoglio, Paris, Gallimard-Seuil
Sans parler de la touche raciste ou classiste que lâon peut voir dans les reprĂ©sentations masculines que me propose DALL-EâŠ