Identité & job - Quand notre valeur personnelle est définie par notre statut professionnel
Work is life #1 đ
La Ploufletter est un espace crĂ©Ă© par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je tây apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă te connaĂźtre et construire une voie Ă ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. Le couloir de nage, câest la voie que lâon choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que lâon passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Plonger dans le carnet de jeu à lâeau pour lancer ton introspection,
DĂ©couvrir le programme introspectif de La piscine conçu pour tâaider Ă trouver ta voie·x,
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đ Avant le plongeon
« Why do we work? » Barry Schwartz for TED
Hola et bienvenue sur le bord du bassin, comment vas-tu ? Lâeau sâest un peu rafraichie ces derniers temps, mais tu verras, ta vitesse de nage nâen sera quâamĂ©liorĂ©e. Et si tu es pressé·e ne tâinquiĂšte pas, tu pourras faire quelques longueurs aprĂšs notre sĂ©ance.
LâĂ©dition dâaujourd'hui est un peu particuliĂšre puisqu'elle ouvre une mini-sĂ©rie que jâavais Ă cĆur de sortir sur la reconversion et la place que peut occuper lâinactivitĂ© dans notre carriĂšre. As usual, pas de date fixĂ©e pour les entretiens qui sortiront au fil de lâeau. Les athlĂštes que nous rencontrerons auront peut-ĂȘtre plus dâexpĂ©rience que les jeunes espoirs de ces derniĂšres Ă©ditions, mais jâespĂšre que ça te plaira aussi đ
Dans cet article, je voulais me pencher sur la relation quâentretiennent travail et identitĂ©. Je parlais dans la premiĂšre Ă©dition de cette newsletter de la difficultĂ© que certain·es avaient Ă sortir la tĂȘte hors de l'eau pendant le confinement. Ce questionnement me semble encore plus d'actualitĂ© en voyant que la pĂ©riode qui sâouvre Ă nous semble contenir le mĂȘme potentiel dâaliĂ©nation de soi puisque nos loisirs ont, de facto, disparu avec la pandĂ©mie. Je me demande donc comment faire la part des choses lorsque ce quâil nous reste est un Ă©lĂ©ment dĂ©jĂ fort prĂ©gnant dans notre quotidien : le travail.
Comment se fait-il que notre activitĂ© semble avoir une si grande incidence sur notre identitĂ© ? Quelle importance donne-t-on Ă âla rĂ©ussiteâ dans ce domaine (et sur quels critĂšres) par rapport aux autres espaces d'expression de soi ?
Ready, set, swim đââïž
đ On recrute des nouveaux nageurs. Tu veux rejoindre la team ? câest par ici
đŠ Ma vie câest mon taf
Et sinonâŠtu fais quoi dans la vie ?
On le sait tous, le travail occupe une place prĂ©pondĂ©rante dans notre existence. Mais à quel point ? Dans son article From productivity porn to mindful productivity, Anne Laure le Cunff nous partage ce chiffre : nous travaillons en moyenne 90 000 heures dans notre vie. Pour te donner une meilleure idĂ©e, disons que ça reprĂ©sente environ 10 ans, soit lâespĂ©rance de vie moyenne dâun chien. Pas Ă©tonnant donc que celui-ci ait une place prĂ©pondĂ©rante dans notre dĂ©finition personnelle.
Ătymologiquement, identitĂ© renvoie au terme idem (mĂȘme) - Cairn
Mais comment avons-nous appris Ă donner tant de valeur sociale Ă notre travail ?
đŠ Trajectoire de vie, trajectoire de taf
« IdentitĂ©. Dans notre enfance, la question de notre carriĂšre est abordĂ©e par les autres sous la forme â Que veux-tu devenir quand tu seras grand·e ?â. Une fois "grand·e, on se met Ă parler aux gens de notre carriĂšre en leur disant ce que nous sommes. On ne dit pas â Je plaideâ, on dit â Je suis avocat·eâ. Câest certainement une maniĂšre fort malsaine de concevoir nos carriĂšres, mais de nombreuses sociĂ©tĂ©s actuelles considĂšrent que la carriĂšre pĂšse au quentuple dans lâidentitĂ© personnelle. Ce qui nâest pas rien » Wait but Why - How to pick a career that actually fits you
JusquâĂ la lecture de lâarticle de Tim Urban, je nâarrivais pas Ă trouver dâexemple oĂč lâon pouvait voir que mĂ©tier et identitĂ© ne font quâun. Le pire Ă©tant que cette question sâappuie sur un schĂ©ma caduque puisque, rappelons-le, 85% des mĂ©tiers de 2030 nâexistent pas. Si on prend en compte le fait que nous exercerons en moyenne 13 mĂ©tiers diffĂ©rents (Les Ăchos), je me demande comment nous pouvons encore apprendre dĂšs notre enfance Ă lier aussi fortement notre identitĂ© et notre activitĂ©.
« Mon premier job Ă©tait dans lâentreprise oĂč jâavais fait mon stage de fin dâĂ©tudes. Je revois encore mon boss me dire au moment de partir en vacances entre les deux contrats âProfite, parce quâaprĂšs c'est parti pour 42 ansâ »
đĄ Fun fact
Plus lâĂąge avance, plus la variable travail prend de la place dans la dĂ©finition identitaire de la personne (La place du travail dans lâidentitĂ©). Je pense que c'est d'autant plus vrai pour les gĂ©nĂ©rations aux chemins de carriĂšre linĂ©aires. Je le remarque d'autant plus aujourdâhui que jâĂ©change avec des personnes en prĂ©-retraite qui portent un sentiment d'attache fort Ă leur activitĂ©. Dâune certaine maniĂšre, dire quâon se sent indispensable au travail rĂ©vĂšle surtout la place consĂ©quente - sinon primordiale - quâon lui fait dans notre vie.
đŠ De la pataugeoire au grand bassin il nây a quâun pas
« Câest en forgeant que lâon devient forgeron »
Si aujourdâhui nos chemins professionnels se complexifient, il en va certainement de mĂȘme avec la crĂ©ation de notre identitĂ©. On en parle souvent comme dâun concept mouvant puisque lâidentitĂ© se construit au fur et Ă mesure de notre vie et de nos sociabilitĂ©s. Enfant, câest la famille qui contribue Ă nous construire. C'est ce quâon appelle la socialisation premiĂšre. Ensuite, lâĂ©cole prend le relai, remplacĂ©e plus tard par le travail (la socialisation secondaire), a priori essentiel dans la dĂ©finition notre identitĂ© dâadulte.
Aristote dans sa PoĂ©tique avance que tout art s'apprend d'abord par lâimitation. Et jâai remarquĂ© que, parmi les personnes que je rencontrais, beaucoup me parlaient de ce mĂȘme phĂ©nomĂšne appliquĂ© Ă lâĂ©cole. Comme si le vide acadĂ©mique Ă©tait doublĂ© dâun ensemble de rituels dont nous n'avions pas encore utilitĂ©.
« En fait on ne fait que jouer Ă ce quâon fera plus tard. Les afterworks, travaux de groupe, c'est comme si on Ă©tait dĂ©jĂ en entreprise alors quâon est encore personne »
Et si câĂ©tait justement lâobjectif de lâĂ©cole que de nous acculturer au mĂ©tier que nous exercerons plus tard (soit au groupe social auquel nous appartiendrons) ? Les stages et les contrats ne sont dâailleurs que la continuitĂ© de ces cours oĂč nous apprenons Ă crĂ©er une entreprise ou une campagne marketing⊠fictives. Par lâexpĂ©rience et lâimmersion dans un secteur, nous apprenons Ă la fois un savoir-faire, mais surtout un savoir-ĂȘtre. Ce dernier nous permettra ensuite de dâĂ©changer, mais avant tout de reconnaĂźtre nos pairs. Bernard Zarca explore dâailleurs cette thĂ©matique dans un essai sur le compagnonnage oĂč il se penche Ă la fois sur la signification des gestes, mais aussi du jargon adoptĂ© par chaque corps de mĂ©tier. Sa fonction est double : lier les membres dâune corporation par le langage, mais aussi exclure ceux Ă©trangers au cercle crĂ©Ă©.
« Le travail est encore aujourdâhui lâun des marqueurs identitaires les plus influents sur notre identitĂ©. Câest dâautant plus vrai dans la tech, avec le dĂ©veloppement de rites et signes dâappartenance presque tribaux qui diffĂšrent selon que lâon travaille chez Google, Airbnb ou autre. » Li Jin dans PlumesWith Attitude
HĂ©lĂšne Rougier Ă©tend mĂȘme cette notion et mĂȘle identitĂ© professionnelle et une identitĂ© sociale, opposant les âprofessionnelsâ aux ânon-professionnelsâ, soit les personnes travaillant Ă celles jugĂ©es comme inactives. Par cette observation, on se rend compte Ă©galement que le mode de vie adoptĂ© rĂ©pond aussi Ă certains codes.
Pour nâen citer quâun : le code vestimentaire. Celui-ci permet entre autre de distinguer lâenvironnement dans lequel on Ă©volue, soit de nous lier Ă une catĂ©gorie socio-professionnelle. Ainsi un costume ou un tailleur peut faire rĂ©fĂ©rence au secteur bancaire, le jean-basket Ă la startup nation, et le plaid-chaussettes au tĂ©lĂ©travail.
Exemple me concernant : jâai toujours Ă©voluĂ© dans le domaine de lâentrepreneuriat et de lâinnovation. De cette acculturation viennent le tutoiement quasi-systĂ©matique des personnes que je rencontre et mon incapacitĂ© a porter autre chose que des sneakers â les deux mĂȘme en entretien. En revanche, je suis incapable de comprendre le jargon de mes ami·es consultant·es lorsquâils Ă©voquent leurs professions. Faire partie dâun bassin mâa donc exclue dâun autre.
Nous serions donc bien la somme des 5 personnes que nous cĂŽtoyons le plus, soit, en grande partie, nos co-Ă©tudiant·es ou bien nos collĂšgues. Si baigner dans un environnement nous dĂ©finit, que se passe-t-il lorsquâon sort en sort ?
đ Quand sortir de l'eau pĂ©nalise
Ă lâinverse du triangle des Bermudes, il est plus simple de sortir du bassin que dây rentrer
Si chacun·e dâentre nous intĂšgre dĂšs son plus jeune Ăąge lâimportance qu'Ă le mĂ©tier dans sa dĂ©finition sociale, il n'est pas surprenant que, lorsquâun nageur·se quitte le marchĂ© du travail (que cela soit volontaire ou non), il·elle puisse se sentir dĂ©pouillé·e de son identitĂ© sociale. Ătre relĂ©gué·e sur le banc de touche pose quelques soucis en termes dâentrainement et surtout, de rĂ©insertion socio-professionnelle ensuite. De fait, une Ă©tude menĂ©e par Cairn montre que perdre sa socialisation professionnelle, câest aussi se dĂ©munir de codes sociaux que nous avions adoptĂ©s auparavant.
Ne pas avoir de travail marginalise. On se mĂ©fie, on questionne. Sur le cv, les pauses paraissent louches et desservent la personne candidate. En tĂ©moignent les difficultĂ©s qu'ont parfois les mĂšres de familles Ă revenir sur le marchĂ© de lâemploi aprĂšs un congĂ© sans soldes. Sur une autre note contextuelle, la proposition des Ă©coles aux jeunes prĂ©-diplĂŽmé·es dâĂ©tendre leur pĂ©riode de stage au vu de la rarĂ©faction des offres dâemploi Ă lâaube du confinement alimente cette peur de lâinactivitĂ©. Nous avons tous intĂ©grĂ© quâun vide, ne serait-ce de 6 mois pĂ©nalise ; encore plus pour un profil dit "de junior". En dĂ©coule de maniĂšre logique la stratĂ©gie des personnes qui acceptent un contrat, quitte Ă dĂ©missionner lorsque lâoccasion se prĂ©sentera plus tard (pour plus dâinformations sur les effets de la crise sur lâinsertion professionnelle des jeunes, on en parle dans la derniĂšre Ă©dition).
Le travail nous marquerait donc doublement, dâune part en sĂ©parant les inactif·ves du reste de la population ; puis en segmentant cette derniĂšre selon les professions distinguĂ©es par leurs us et coutumes. Y renoncer â comme ces jeunes qui partent en retraite Ă 28-30 ans â semble ĂȘtre le premier cri dâune gĂ©nĂ©ration qui rĂ©clame un nouveau rapport au travail, du moins Ă la rĂ©ussite.
đ So what?
« 54 % des actifs jugent que le travail est lâun des trois Ă©lĂ©ments qui âleur correspondent le mieux, qui permettent de les dĂ©finir â» La place du travail dans les identitĂ©s
Pour moi, lier la question identitaire au travail tĂ©moigne surtout de la valorisation sociale dâun certain type dâoccupation. De fait, quels que soient les Ă©crits et les recherches, jâai remarquĂ© quâon ne fait Ă©tat que dâun type dâactivitĂ©, celle rĂ©munĂ©rĂ©e. Comme si le bĂ©nĂ©volat (qui a pourtant le vent en poupe), ne portait pas autant de valeur - pour ne pas dire aucune. Comme si la reconnaissance ne passait que par le salaire.
Mais redorer les armes du bénévolat voudrait-il dire que nous devrions aussi trouver une nouvelle maniÚre de nous mettre en valeur ?
Un·e ami·e me faisait dâailleurs remarquer il y a peu que pour flexer au bord du bassin de lâengagement, les codes Ă adopter sont diffĂ©rents. Ici pas de KâŹ, ou TJM, mais plutĂŽt des liste dâassociations auxquelles on alloue du temps. Ă chaque corporation son Ă©chelle de valeurs đ€·đœââïž
Dâun autre cĂŽtĂ©, lâavĂšnement de la passion economy, du slashing et du mouvement freelance tĂ©moigne aussi dâun changement de paradigme Ă venir dans notre façon de concevoir notre activitĂ©.
De ce que jâen vois, je me dis surtout que quelle que soit notre activitĂ© nous semblons avoir besoin :
De nous sentir appartenir à une communauté qui partage nos valeurs et codes d'expression (ce qui passe aussi par l'exclusion de certaines personnes)
Dâavoir un Ă©lĂ©ment objectif de mesure de lâimpact de notre activitĂ© sur notre vie et de notre âcroissance personnelleâ (âŹâŹ ou name-dropping c'est selon)
D'ĂȘtre reconnu·e Ă son Ă©chelle, de sentir que son action ou sa voix est valorisĂ©e/entendue
Cette liste regroupe des choses que nous pouvons trouver hors de la sphĂšre professionnelle. Mais encore faut-il trouver le temps et lâenvie de sâinvestir ailleurs (ou dâidentifier les causes qui nous animent). Avec les rĂ©centes dĂ©cisions du gouvernement se pose encore plus la question de comment se dĂ©tacher du travail et trouver une source dâĂ©panouissement hors activitĂ© ?
đ Quelques ressources avant de se quitter
đ Le TED talk de Barry Schwartz sur notre rapport au travail The way we think about work is broken dans lequel il retourne aux racines de notre systĂšme. Son objectif ? Chercher les raisons pour lesquelles une partie Ă©crasante de la population mondiale se lĂšve / couche tous les jours pour aller travailler dans des conditions fort discutables
đ Repenser les diplĂŽmes Ă©crit par Samuel Durand pour se pencher sur la maniĂšre dont nous construisons et valorisons nos compĂ©tences aujourdâhui
đ En ce moment jâĂ©coute beaucoup The Storyline de NoĂ©mie Kempf. Elle Ă©voque les questions dâorientation et de choix de travail dans son Ă©pisode avec Manon Roucher de chez JOB4
đ From productivity porn to mindful productivity par Anne-Laure le Cunff (Ness Labs) pour revoir son rapport Ă la productivitĂ© et lĂącher du lest face aux morning routines de l'espace
đ€ Pour aller plus loin
Voici mes sources du jour pour les plus curieux·ses
đ PersĂ©e sur le compagnonnage et PersĂ©e sur lâidentitĂ© professionnelle et les codes
đ  Le diagnostic de l'identitĂ© professionnelle : une dimension essentielle pour la qualitĂ© au travail Anne-Marie Fray, Sterenn Picouleau
đ La place du travail dans les identitĂ©s, HĂ©lĂšne Garner, Dominique MĂ©da et Claudia Senik
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
đ Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner
đ Tu ressens le besoin dâĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou mâenvoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins
đ Tu fais partie dâune structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets dâorientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email  si tu veux que lâon en discute ensemble
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
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