La Ploufletter est un espace crĂ©Ă© par La piscine pour parler quĂȘte de sens. Je tây apporte contenu, ressources et outils pour apprendre Ă te connaĂźtre et construire une voie Ă ton image. Le tout sur fond de sociologie et mauvais jeux de mots. AthlĂšte confirmé·e ou newbie en brassards, bienvenue đŁ
Tu verras, ici on Ă©voque beaucoup le monde de la natation pour faire rĂ©fĂ©rence au fait de se lancer « dans le grand bain » de la vie. La piscine, câest le monde â du travail le plus souvent. Le couloir de nage, câest la voie que lâon choisit. Les diffĂ©rentes techniques de nages, les paliers que lâon passe. Enfin, les nageur·ses sont les personnes qui, comme toi et moi, sont en quĂȘte de sens. Si besoin, tu peux consulter ce lexique natatoire !
Tu peux aussi :
Plonger dans le carnet de jeu à lâeau pour lancer ton introspection,
DĂ©couvrir le programme introspectif de La piscine conçu pour tâaider Ă trouver ta voie·x,
Tâabonner Ă la Ploufletter si on tâa transfĂ©rĂ© cette Ă©dition đđŸ
Sur ce, bonne sĂ©ance đ
đ Avant le plongeon
« Ătre vulnĂ©rable, c'est une force, une puissance qui rĂ©veille ta rage de vivre. c'est fort d'ĂȘtre vulnĂ©rable parce que c'est interdit [...], se sentir vulnĂ©rable et [de] faire quelque chose qui a un sens c'est autre chose » Myriam Bahaffou - Un podcast Ă soi
Coucou toi, comment tu vas en ces jours pluvieux ? Avant toute chose, bienvenue aux nouvelles personnes qui nous ont rejoint depuis la derniĂšre Ă©dition sur les biais cognitifs ! Moi c'est Apolline, fan de memes, paumĂ©e Ă temps plein et en fin dâĂ©tudes depuis 2 ans. Tu peux me rencontrer ici pour en savoir plus sur le projet.
Me voici de retour aprĂšs un mois de fĂ©vrier Ă la dĂ©rive â je vis sous une pile de retard accumulĂ©. Pour remonter sur la bouĂ©e de lâorientation professionnelle en toute grĂące, que dirais-tu dâune newsletter spĂ©ciale fĂ©minisme (you know what they say: « le 8 mars c'est toute lâannĂ©e ») ?
En tant que femme sur le plongeoir, il mâarrive dâavoir la pressâ. Parfois, jâai lâimpression de porter dans mes brassards le poids des luttes de mes pairs. Je me dis que mon droit au travail est un privilĂšge pour lequel des milliers de femmes se sont battues ces derniĂšres gĂ©nĂ©rations⊠et quâinconsciemment, la meilleure façon de les remercier est de me conformer gentiment au marchĂ© qui sâouvre Ă moi. Mais en fait, quâavons-nous gagnĂ© ? Le droit de sâĂ©lever socialement au niveau des hommes pour qui travailler est constitutif de leur identitĂ©. Mais endosser ce nouveau rĂŽle ne nous retire pas lâancien pour autant â la responsabilitĂ© du foyer. Ceci sous-entend quâun jour, nous puissions potentiellement gĂ©rer dâune main de maĂźtresse les deux (de mon cĂŽtĂ©, câest mal parti1).
Jâai donc eu envie de creuser la question de la relation que pouvait entretenir fĂ©minisme et grand saut. Je te conseille de te munir dâune bonne combinaison pour tenir la distance : la sĂ©ance est un peu longue. Fasten your bouĂ©e, weâre about to take off.
Ready, set, swim đââïž
đ On recrute des nouveaux nageur·ses. Tu veux rejoindre la team ? câest juste ici đ
đŠ Quâen disent nos nageuses ?
Voici, en guise dâintroduction, quelques tĂ©moignages recueillis auprĂšs de nos nageuses sur suite Ă la question « As-tu eu lâimpression que ton genre a influencĂ© ton orientation professionnelle ? » :
« Oui, au sens oĂč je me suis tournĂ©e vers un univers quasi exclusivement fĂ©minin »
« Oui, jâai lâimpression dâavoir une vision moins âconquĂ©ranteâ que les mecs. En tant que âfilleâ on mâa peut-ĂȘtre moins poussĂ© Ă mâaffirmer, Ă ĂȘtre plus âconfianteâ. Câest peut-ĂȘtre un mix entre ma personnalitĂ© et mon Ă©ducation - assez genrĂ©e : attention Ă ne pas prendre âtropâ de place, Ă ĂȘtre trop expressive etc. Et instinctivement, jâassocie la fĂ©minitĂ© au cĂŽtĂ© âartistiqueâ â mon domaine premier. »
« Non, pas nĂ©cessairement, mais jâai pris une voie plutĂŽt âclassiqueâ en sortie dâĂ©tudes et mon industrie est assez mixte »
« Oui, jâai toujours Ă©voluĂ© dans un univers fĂ©minin, passĂ© des entretiens avec des femmes. Je me sentirais un peu mal Ă lâaise dans un domaine plus masculin je pense »
« Pas vraiment, mais je me pose plus de questions maintenant que je suis dans le grand bain sur la maniĂšre dont on me considĂšre et dont on interagit avec moi (et rĂ©ciproquement). Pour info : jâĂ©volue dans un milieu majoritairement masculin »
đŠ Vouloir arriver en bxmbe. Faire un plat
« Si on entend souvent parler des inĂ©galitĂ©s salariales, la mixitĂ© des genres selon les mĂ©tiers ne fait pas autant de bruit. En 2018, une Ă©tude du Centre dâInformation et Documentation Jeunesse (CIDJ) montrait que seuls 17% des mĂ©tiers Ă©taient mixtes. Une profession Ă©tant considĂ©rĂ©e comme mixte lorsque la part des hommes se situe entre 40 et 60% de lâeffectif » Welcome to the Jungle
La vague prend
LâarrivĂ©e massive des femmes sur le marchĂ© du travail est, Ă lâĂ©chelle temporelle, relativement rĂ©cente. Selon lâINSEE, « la situation relative des femmes sâest sensiblement amĂ©liorĂ©e au cours des trois derniĂšres dĂ©cennies ». De fait, le taux dâactivitĂ© comme le niveau de diplĂŽme des femmes sont en hausse depuis les annĂ©es 60 et, au travail, « on observe que les positions de cadres et de professions intellectuelles supĂ©rieures sont de moins en moins rĂ©servĂ©es aux hommes ».
Si lâemploi fĂ©minin se vulgarise, lâonde a du mal Ă se propager cĂŽtĂ© mixitĂ©. Ainsi, on remarque que les femmes sâorientent majoritairement vers le tertiaire. Certains domaines comme celui des soins sont reconnus comme Ă©tant historiquement « fĂ©minins ». Dâautres, comme celui de la finance ou de la tech restent encore fortement cloisonnĂ©s. Aujourd'hui, pas moins de 90% du personnel soignant est fĂ©minin ; et seules 7% de femmes sont prĂ©sentes dans les comitĂ©s de direction des grands groupes financiers cotĂ©s en 20182.
« Elles sont nettement moins reprĂ©sentĂ©es dans les fonctions finance, les directions technologiques et quasiment absentes des fonctions de directeur·rice gĂ©nĂ©ral·e ou directeur·rice gĂ©nĂ©ral·e dĂ©lĂ©gué·e » Heidrick & Struggles (ça ne sâinvente pas)
Le prĂ©sident de la sĂ©ance dit : « En effet, il y a trĂšs peu de femmes » â Ă quoi je rĂ©pondis : « En fait, ce nâest pas ça le problĂšme ; câest quâil y a trop dâhommes. » Lilian Thuram3
Un des premiers freins au moment de penser son plongeon est donc le manque de reprĂ©sentativitĂ© qui engendre un manque dans notre imaginaire commun. Plus voir une femme occuper un poste Ă haute responsabilitĂ© dans un domaine Ă©tant rare, plus il est dur de se projeter comme telle pour les jeunes filles ensuite. Une forme dâauto-censure peut mĂȘme se mettre en place sous prĂ©texte « que ce nâest pas un domaine fait pour les femmes ». Changer les trajectoires et briser le plafond de verre passe notamment par un travail sur les rĂ©cits, lâapparition de nouveaux role models, et leur rencontre. Ces missions de sensibilisation figurent en tĂȘte de liste des rĂ©seaux comme Women in Game ou Women in Tech.
Sous lâocĂ©an, la jungle
Samedi dernier, jâai plongĂ© dans la piscine colorĂ©e de Join Lion brassards aux bras, tisane en main et voix du lever oblige. Outre la rencontre dâun sympathique banc de poissons-fĂ©lins, la formation prĂ©voit des temps en compagnie de maĂźtres-nageur·ses amphibies (passer de la jungle Ă la mer câest pas tous les jours easy). Lors de notre premier Ă©change au bord du bassin, le sujet de la diversitĂ© en startup est venu sur la table.
« 88 % des fondateurs de jeunes pousses qui ont dĂ©jĂ levĂ© des fonds en Europe s'identifient comme « Blancs-Caucasiens, contre 4 % Asiatiques, et 2 % Noirs-Africains-CaribĂ©ens », selon un rapport d'Atomico » Les Ăchos4
« La tech, c'est le royaume de l'homme blanc surdiplÎmé, urbain et issu d'un milieu social favorisé» La Tribune5
Pour les nageur·ses les plus curieux·ses, Maddyness a Ă©crit quelques articles sur cette thĂ©matique (ici et ici). Notre invitĂ© a reconnu que trĂšs souvent, les jeunes startups ont tendance Ă favoriser le recrutement de personnes qui leur ressemblent. Soit, des personnes qui partagent leurs codes, formations et rĂ©seau : un exemple parfait du biais de familiaritĂ© (je tâinvite Ă lire cette Ă©dition dĂ©diĂ©e aux biais cognitifs). Souhaiter minimiser les risques si lâon a lâopportunitĂ© de sâentourer de profils « rassurants » est tout Ă fait comprĂ©hensible. Oui mais voilĂ . Les fondateur·rices de startup sont bien plus souvent des EUR que HER. Dis toi quâau rythme actuel, il faudrait attendre 20906 pour pouvoir atteindre la paritĂ© dans lâentrepreneuriat français (dĂ©ment non ?).
« Le problĂšme se situe en amont. Le problĂšme, câest que quand un mec dit Ă ses potes âje vais crĂ©er ma startupâ, on lâencourage. Si câest une femme⊠ses potes lui disent âtâes dingueâ et elle abandonne lâidĂ©e » Balthazar de Lavergne
Lorsque je travaillais chez makesense, on avait remarquĂ© que, malgrĂ© lâĂ©crasante majoritĂ© de femmes dans les programmes Ă destination des porteur·ses dâidĂ©e (70% de femmes par promotion environ pour le Sprint đ), elles Ă©taient beaucoup plus rares Ă se lancer ensuite.
Cet Ă©cart se distingue aussi lors des levĂ©es de fonds. Des startups ayant levĂ© des fonds depuis 2008, seules 2% ont une direction 100% fĂ©minine7. En moyenne, une startup fondĂ©e par une femme a 30% moins de chance dâĂȘtre soutenue par les fonds de capital-risque classique. Ainsi, aux Ătats-Unis, des fonds dâinvestissement Ă destination des minoritĂ©s8 sont nĂ©s pour soutenir celles et ceux pour qui le parcours de lâentrepreneuriat Ă©quivaut Ă celui dâun entraĂźnement des SEALS â comme The W Funds. La mĂȘme dynamique existe pour les communautĂ©s non-blanches, elles aussi victimes de discrimination. Ainsi, en 2020, un fond canadien appelĂ© Black Opportunity Fund est nĂ© pour encourager les projets issus de la communautĂ© noire.
Tenter de rĂ©duire ces Ă©carts de financement est une autre maniĂšre dâencourager lâĂ©mergence de nouveaux rĂ©cits. GrĂące Ă cela, la perspective dâexplorer de nouvelles lignes de nage peut sâouvrir au moment de penser son orientation.
LâintersectionnalitĂ© - en bande organisĂ©e câest full sororitĂ©
« Lâadjectif « mixte », issu du latin mixtus et du verbe miscere, mĂ©langer, signifie « qui est formĂ© de deux Ă©lĂ©ments de nature diffĂ©rente ». Si on ose les rĂ©unir, souhaite-t-on vraiment quâils deviennent Ă©gaux ? » 9
On ne va pas se le cacher, dans la vie, câest comme dans lâeau, mieux vaut ne pas trop cumuler les dĂ©savantages pour flotter sereinement. Dans lâentrepreneuriat â comme en entreprise â plĂ©thore dâautres biais discriminants existent. Lâhandicap, lâapparence physique ou lâorigine nâen sont quâun maigre exemple. Jâaimerais donc rapidement faire escale sur le dernier.
Aujourdâhui, ĂȘtre une femme « de couleur » semble encore lester les ceintures Ă lâapproche du plongeon. Choisir un domaine, une entreprise, revient donc â en creux â Ă choisir une gestion de la diffĂ©rence ainsi que son inclusion.
Je me souviens encore dâune discussion que jâavais eu prĂ©-entrainement avec un·e nageur·se en RH. Celle-ci mâavait confiĂ© avoir reçu comme consignes de ne pas accepter les cvs de personnes « de couleur ». Cette anecdote nâest, je pense, pas unique dans lâocĂ©an dâexpĂ©riences professionnelles. Certes, le milieu dans lequel iel travaillait est identifiĂ© comme Ă©tant traditionnellement peu mixte, mais cela montre quâil persiste aujourdâhui de forts biais Ă ce sujet. Des crĂ©ateur·rices de contenu comme Saha partagent ainsi leur vĂ©cu sur Instagram. Parmi ses histoires, elle nous partage notamment la maniĂšre dont elle pense son apparence pour se conformer au mieux aux standards en place et ainsi rĂ©ussir ses entretiens â comme son intĂ©gration en entreprise ensuite.
« A skinny Black girl
Descended from slaves and raised by a single mother
Can dream of becoming president
Only to find herself reciting for one » Amanda Gorman
Quels sont les mécanismes qui engendrent ces autocensures ? ces discriminations ?
Tu tâen doutes, lâĂ©ducation entre en jeu, tout comme celle de la reprĂ©sentativitĂ© dont je te parlais il y a quelques instants. The Hill We Climb dâAmanda Gorman rĂ©sume le sentiment dâespoir nĂ© dans le cĆur de millions de jeunes AmĂ©ricain·es suite Ă la nomination de Kalama Harris. Lâapparition soudaine dâune role model Ă leur image plante les graines dâun nouveau lendemain. Celui oĂč des jeunes femmes, de toute origine, peuvent sâimaginer chausser les mĂȘmes palmes que celle qui a jurĂ© abnĂ©gation Ă la Constitution amĂ©ricaine en janvier 2021. La premiĂšre Ă©lection dâObama avait elle aussi ouvert cette brĂšche, comme le raconte Michelle dans son livre Becoming10. Ces Ă©volutions progressives de lâimaginaire collectif sont peut-ĂȘtre Ă©galement un pas vers la diversification du paysage social⊠et donc professionnel !
Câest notamment suite Ă ces âaccumulations dâhandicapsâ au dĂ©part quâest nĂ© le concept dâintersectionnalitĂ© pour permettre Ă toutes les voix/es de trouver mĂ©gaphone Ă son timbre.
« CrĂ©Ă© par KimberlĂ© Crenshaw en 1991, le terme dĂ©signe la situation de personnes subissant simultanĂ©ment plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une sociĂ©tĂ©. LâintersectionnalitĂ© permet dâintĂ©grer les diffĂ©rences entre les femmes [...] De nouvelles voix sâĂ©lĂšvent pour permettre Ă toutes les femmes de se reconnaĂźtre dans la lutte pour les Ă©galitĂ©s femmes / hommes et femmes / femmes » Les Glorieuses11
LâintersectionnalitĂ© est le fait « dâapprĂ©hender « la rĂ©alitĂ© sociale des femmes et des hommes, ainsi que les dynamiques sociales, culturelles, Ă©conomiques et politiques qui sây rattachent comme Ă©tant multiples et dĂ©terminĂ©es simultanĂ©ment et de façon interactive par plusieurs axes dâorganisation sociale significatifs » Stasiulis12
RĂ©unir les luttes permet donc de donner plus de force Ă la vague en formation et penser de maniĂšre plus globale les questions dâinclusivitĂ©.
đŠ Ăquilibrer le partage des tĂąches : trop yolâeau ?
ConsidĂ©rer certaines lignes de nage passe certes par la reprĂ©sentativitĂ©, mais quâen est-il de la question plus âprivĂ©eâ de lâĂ©ducation et de la gestion de nos vies privĂ©es ?
Started dans la pataugeoire now we here
Ă toi, nostalgique des cours de philo, ce paragraphe est pour toi
Platon dans sa RĂ©publique avait dĂ©fini trois catĂ©gories de personnes, chacune prĂ©-destinĂ©e Ă tenir un rĂŽle dans la vie de la sociĂ©té⊠et donc Ă©duqué·e comme tel·le (nul besoin dâinclusivitĂ© ici puisque les femmes, Ă lâĂ©poque, nâĂ©taient pas considĂ©rĂ©es comme citoyennes Ă part entiĂšre). Cet apprentissage social commençait dĂšs la plus tendre enfance. Les activitĂ©s, jeux et objets donnĂ©s Ă chacun·e influence inconsciemment le dĂ©veloppement du jeune enfant selon Sylvie Cromer13. La chercheuse souligne ainsi que les qualitĂ©s mises en valeur pour les filles ont trait Ă lâĂ©change, la douceur, et lâaltruisme tandis quâon valorise lâinventivitĂ©, lâĂ©mancipation et le risque chez les garçon.
Ces diffĂ©rences expliquent en partie la division sociale du travail Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment. LâĂ©vocation de la maternitĂ© dans les jeux Ă destination des jeunes filles prĂ©pare aussi Ă la potentialitĂ© dâavoir une carriĂšre interrompue â ou du moins en dents de scie. Ă titre personnel, jâai souvent le sentiment dâavoir appris que la « rĂ©ussite » se situait dâabord dans la maniĂšre dont jâallais arriver Ă jongler entre mes « deux vies » (pro et privĂ©e). En ce sens, la premiĂšre saison de The handmaidâs tale dĂ©peint bien lâambiguĂŻtĂ© quâil y a entre rĂ©ussir « sa vie pro » et « rĂ©ussir Ă ĂȘtre mĂšre » aux yeux de la sociĂ©tĂ©.
Un déséquilibre pérenne
Ces inĂ©galitĂ©s relatives Ă une trajectoire professionnelle « en pointillĂ©s » se retrouve de lâautre cĂŽte du bassin. Au moment de rendre leur peignoir, les femmes demandent en moyenne, Ă liquider leur dossier â soit demander leur dĂ©part en retraite â deux ans aprĂšs les hommes14. Et comme un brassard ne vient jamais seul : de par leur parcours et le·s mĂ©tier·s exercé·s, les femmes touchent Ă©galement une pension de 44% plus faible que les hommes. Enfin, au cours des accompagnements Ă la sortie de bassin chez Alphonse, nous avions remarquĂ© que les prĂ©occupations fĂ©minines et masculines varient Ă lâapproche de la retraite. Si elles semblent plus attachĂ©es Ă la maniĂšre dont elles vont pouvoir (continuer à ) concilier loisirs et vie personnelle, eux se concentrent sur la perception sociale de lâentourage quâinduit cette fin de carriĂšre.
Cela fait Ă©cho Ă lâĂ©pisode Vieilles et alors ? dâUn podcast Ă soi dans lequel Charlotte BienaimĂ© analyse les raisons sociales qui amĂšnent une femme Ă camoufler son vĂ©cu â soit, sa vieillesse â tandis que celui de lâhomme est tolĂ©rĂ©. Car celui-ci se dĂ©finit par ses actes non son apparence.
Partager la charge mentale
Pour rappel, le travail domestique est en majoritĂ© effectuĂ© par les femmes (64%) et reprĂ©senterait 33% du PIB sâil Ă©tait rĂ©munĂ©rĂ©15. Et lorsquâil est dĂ©lĂ©guĂ©, il lâest aux femmes.
Dans mes ami·es, je remarque de plus en plus une approche diffĂ©rente de la carriĂšre (et donc du grand saut). Pour eux, avoir des enfants ne semble pas avoir un impact consĂ©quent sur la maniĂšre dont ils conçoivent leur trajectoire de vie et leur carriĂšre. Pour elles, au contraire, le projet de maternitĂ© implique de calculer, dâĂ©valuer le « meilleur moment » pour tomber enceinte dans lâespoir que cet arrĂȘt ne les pĂ©nalise pas. Il est dâailleurs frĂ©quent quâen entretien, la question familiale soit redoutĂ©e.
« C'est bien, mon congĂ© maternitĂ© tombe Ă une pĂ©riode oĂč il y a peu dâactivitĂ© dans mon entreprise donc pas de stress » Une nageuse Ă lâabonnement prĂ©-natâ
Dâautres pensent la maternitĂ© comme une transition, lâopportunitĂ© de changer d'activitĂ©.
« Je me donne 2 ans pour avoir une âcarriĂšreâ classique et une fois que je commencerai Ă avoir des enfants, je changerai pour une activitĂ© - entrepreneuriale ? - qui me permettra dâĂȘtre plus flexible et concilier les deux » Une nageuse qui a effectuĂ© sa culbute plus tĂŽt que prĂ©vu
Dâautres, enfin, se sont rĂ©solues quant au sort qui les attend
« Si mon ex-conjoint avait Ă©tĂ© dans ma section, il serait mon n+8 aujourdâhui. De mon cĂŽtĂ© jâai acceptĂ© ma placardisation depuis mon congĂ© maternitĂ©. Je me dis que je travaille pour un salaire, câest tout. Au dĂ©part, jâai acceptĂ©, jâai trouvĂ© ça normal dâĂȘtre mise Ă lâĂ©cart aprĂšs mon retour. Alors que pas du tout. Je me suis rendue compte quâil fallait corriger nos propres clichĂ©s. » Un podcast Ă soi
DĂšs le pĂ©diluve, la charge mentale nâest pas rĂ©partie de la mĂȘme maniĂšre. Pour lâanecdote, un·e nageur·se me racontait rĂ©cemment qu'au moment de son plongeon en pleine crise sanitaire, des entreprises lui avaient refusĂ© lâentrĂ©e dans leur bassin car iel16 ne possĂ©dait pas la nationalitĂ© dâun pays europĂ©en. Dans ce contexte je nâai aucun mal Ă imaginer quâon nous demande bientĂŽt dâinscrire sur nos cv le nombre dâenfants prĂ©vu pour les 5 prochaines annĂ©es.
đ So what ?
« Il faut rĂ©-interroger la norme partout et adopter une approche systĂ©mique [...] il faut travailler sur l'accĂšs des femmes aux postes de dĂ©cision, sur la mixitĂ© des mĂ©tiers - qui ne le sont pas aujourd'hui -, sur la parentalitĂ©, les conditions de travail, l'organisation du temps... et sur tous les process RH qui valorisent aujourd'hui un modĂšle neutre d'ĂȘtre au travail - qui est en fait un modĂšle masculin : prĂ©sentĂ©isme absolu, linĂ©aritĂ© des carriĂšres, dĂ©tection des hauts potentiels entre 25 et 35 ans qui est l'Ăąge oĂč les femmes font leurs enfants. » Brigitte Gresy pour Un podcast Ă soi
Ă toutes ces fois, oĂč jâai compris quâĂȘtre une femme au taf, câĂ©tait nager au milieu des sharks. Ă toutes ces fois oĂč jâai compris que, pour rĂ©ussir (quelque soit la dĂ©finition de ce terme), on attendait de moi que je me durcisse (« man up »), pour faire bouger les choses Ă mon Ă©chelle. Depuis mon entrĂ©e en Ă©cole jâapprends qu'en tant que femme sur le marchĂ© du travail, je me dois de me blinder. De me prĂ©parer. Ă nĂ©gocier mon salaire - certes. Ă gagner potentiellement moins que mes collĂšgues masculins - pourquoi ? Ă devoir composer avec une forme de sexisme insidieux et ambigu. Ă devoir me battre, quotidiennement, pour justifier ma place et mes responsabilitĂ©s dans un monde qui n'a pas Ă©tĂ© pensĂ© pour mon genre. Ă toutes ces fois oĂč suis allĂ©e au travail la boule au ventre, un pull informe enroulĂ© au fond de mon sac pour lâenfiler, au bureau ; par peur des regards et remarques de mes collĂšgues. Ă ces jours oĂč, naĂŻve, jâai osĂ© me demander si câĂ©tait « dans ma tĂȘte » ou si une ligne venait dâĂȘtre franchie.
« En tant que femme, mon rĂȘve, mon utopie, c'est un espace oĂč on a pas besoin de s'endurcir » Myriam Bahaffou - Un podcast Ă soi
Je refuse de croire que demain, les femmes seront de retour au foyer, invisibilisĂ©es comme aux siĂšcles derniers. Je refuse que les gĂ©nĂ©rations futures doivent faire face au mĂȘme plafond de verre que nous. Croyons en notre force, Ă©levons nos voix/es et donnons Ă voir nos expĂ©riences diverses pour inspirer nos futures collĂšgues, Ă©lĂšves et ami·es.
Et Ă toi qui me lis, toi qui nâes ni femme ni [insĂ©rer la caractĂ©ristique de ton choix] ; toi aussi, tu peux nous aider Ă grandir. Remember this: « I believe itâs the responsibility of anyone on the privileged end of those inequalities to help make things right »17
Tous ces Ă©lĂ©ments â maternitĂ©, carriĂšre en pointillĂ©s, plafond de verre, discrimination à lâembauche, manque de reprĂ©sentativitĂ© etc. â participent Ă rendre le grand saut au fĂ©minin plus pĂ©rilleux que prĂ©vu. Câest par nos efforts communs que lâon peut espĂ©rer continuer Ă progresser vers plus dâĂ©quitĂ© pour les annĂ©es Ă venir.
Sororité & amour.
ps : que penses-tu de cette question femme x carriÚre ? Tu peux me répondre en commentaire ou par email je suis curieuse de te lire !
« Je me posais des questions comme : pourquoi accepter de travailler 80h/semaines mĂȘme quand ça ne va pas ? »
La rencontre Au bord du bassin ne se lit pas, elle sâĂ©coute â nâavais-je pas parlĂ© de mon retard ? En vadrouille les palmes aux pieds, en sâĂ©tirant aprĂšs une session intense ou en chillant sur son transat : tout est possible. Notre athlĂšte du jour a dĂ©jĂ parcouru quelques miles dans le bassin de la paumitude dont elle sâest sortie par une pirouette. Habile mais vrai : elle a choisi la voie de maĂźtresse nageuse et nous en parle plus en dĂ©tail.
Bonne Ă©coute đ (LâĂ©pisode est disponible sur toutes les plateformes de podcast et le compte-rendu est ici)
đ Quelques ressources avant de se quitter
đ Mes notes de recherche pour cette Ă©dition si tu veux tâimmerger dans cette thĂ©matique. Petit disclaimer cependant, elles sont aussi bien organisĂ©es quâun local technique de piscine
đ Adabot, le chatbot dâorientation numĂ©rique Ă destination des femmes dĂ©veloppĂ© par Social Builder. Par ici pour Ă©changer avec lui et trouver bouĂ©e - virtuelle - Ă ta taille
đ Sexisme ordinaire en milieu tempĂ©rĂ© - Un podcast Ă soi animĂ© par Charlotte BienaimĂ©. Accroche-toi, les tĂ©moignages sont glaçants
đ Balance ton Stage ainsi que leur Petit manuel du sexisme en entreprise pour mieux comprendre et mieux apprĂ©hender le harcĂšlement sexuel
đ Ma juste valeur pour parler Ă©galitĂ© et nĂ©gociation salariale
Ăa tâa plu ? Fais passer le mot !
đ Cette Ă©dition a rĂ©sonnĂ© avec ton expĂ©rience de nageur·se ? Envoie moi un email si tu souhaites tĂ©moigner
đ Tu ressens le besoin dâĂȘtre accompagné·e dans ta rĂ©flexion professionnelle ? Tu peux aller faire un tour du cĂŽtĂ© du shop de La piscine ou mâenvoyer un email pour Ă©changer sur tes besoins
đ Tu fais partie dâune structure Ă©ducative / entreprise et ces sujets dâorientation / quĂȘte de sens animent vos Ă©quipes ? Envoie moi un email  si tu veux que lâon en discute ensemble
Ă trĂšs vite pour un nouveau plongeon đ
Apolline
Vous pouvez aussi nous retrouver sur instagram : https://www.instagram.com/ourmillennialstoday/
Mais « moins et moins ça fait plus » tu connais
Sylvie Cromer (chap 23) dans Femmes, genre et sociĂ©tĂ©, Cairn, 2005Â
La pensée blanche, Lilian Thuram, 2020
Des pistes pour favoriser la diversitĂ© dans les start-up, Adrien LeliĂšvre pour Les Ăchos, 2020
Lâentre-soi, un poison pour la tech française, Sylvain Rolland, 2019
Les startuppeuses nâont levĂ© que 2% des fonds depuis 2008, Camille Wong pour Les Ăchos Start, 2019
Par minoritĂ© jâentends tout groupe de population peu ou sous reprĂ©sentĂ© dans lâĂ©cosystĂšme startup
Femmes, genre et société, 2005
Tu peux aller faire un tour sur Recyclivre pour voir si le livre est en vente
LâintersectionnalitĂ© ne peut pas attendre ! , Les Glorieuses
ThĂ©orisations fĂ©minines de lâintersectionnalitĂ©, Sirma Bilge dans DiogĂšne, 2009
Femmes, genre et société, Sylvie Cromer, 2005
Femmes, genre et société (chap 24), Carole Bonnet, 2005
Collectif Tâas pensĂ© Ă ?
Pronom a-genré pour désigner une personne
Kyle Dover, Privileged